samedi 30 décembre 2017

La créature chez Guillermo del Toro



Dans ce conte fantastique (La Forme de l’eau/The Shape of Water, 2017), Guillermo del Toro réactive la figure de la créature venue d’ailleurs. À l’instar de King Kong (King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933) ou de L’Étrange créature du lagon noir (Creature from the Black Lagoon de Jack Arnold, 1954), un nouvel alien, mi-homme, mi-amphibien, capturé en Amazonie, a été ramené de force, au début des années 60, dans un laboratoire ultra-secret de Baltimore, pour devenir un objet d’expérimentations scientifiques. Prisonnier, mis à l’isolement, martyrisé par le responsable du programme, le colonel Strickland (Michael Shannon), l’humanoïde aquatique voit son destin basculer lorsque Elisa (Sally Hawkins), jeune femme muette, préposée au nettoyage des sols du laboratoire, tombe amoureuse de lui. Celle-ci se démarque alors d’Ann Darrow (King Kong) et de Kay Lawrence (l’Étrange créature du lagon noir) terrifiées par ces monstes trop entreprenants, pour vivre instantanément une passion amoureuse qui ne laisse pas indifférent l’humanoïde amphibien. Lorsque Sally apprend que la créature, revêtue d’écailles, de nageoires et de branchies est promise à une vivisection, elle décide de la libérer. Cachée dans son appartement, cette dernière s’échappe toutefois un court moment pour se réfugier dans le cinéma qui se trouve juste en-dessous. Dans une salle vide, l’humanoïde s’arrête devant le film projeté, L’Histoire de Ruth (The Story of Ruth de Henry Koster, 1960), un péplum dans lequel des esclaves travaillent dans les mines de Judée sous les coups de fouet des garde-chiourmes et le regard méprisant de leurs maîtres. Au-delà de la mise en abyme de la scène, l’être aquatique ne peut voir dans ces hommes enchaînés que la reproduction de sa propre condition. L’armée américaine a fait de lui un objet assujetti à sa propre curiosité qui dans le contexte de la Guerre froide ne fait pas rimer science avec conscience. Mais fasciné par l’image cinématographique, l’homme amphibien ne se rend pas immédiatement compte de la présence de Sally, entrée à son tour, toute en élégance chaplinesque, dans la salle de cinéma. Marginaux, et donc singuliers dans ce monde qui n’est pas fait pour eux, les deux êtres « incomplets » se font face, de part et d’autre d’une rangée de sièges et engagent une étrange conversation, dénuée de mots, mais chargée de regards et de gestes, dans une entreprise de séduction mutuelle. La belle et la bête sont au diapason dans leurs identités respectives, acceptant de s’aimer en dépit de tout ce qui les sépare. De manière foudroyante, Sally voit en cette altérité son double, son alter ego en souffrance et en solitude et sait que chacun partage les mêmes émotions, les mêmes humiliations et les mêmes désirs. La salle de cinéma  sert alors d’écrin pour célébrer cet hymne à la différence, forgé par des élans passionnels insoupçonnés. Par l’intensité du sentiment amoureux et l’espoir d’un ailleurs dépassant le réel, la séquence paraît répondre à ce que nous mettons dans le nom de romantisme. Nous avons l’intime conviction de croire que le cinéma en serait la terre d’asile la plus extraordinaire.


Le professeur de sciences chez Agnieszka Holland



Balloté par les soubresauts et les tragédies de l’Histoire (la Nuit de Cristal en 1938, l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes et soviétiques en 1939, puis celle de l’URSS par le IIIe Reich en 1941), Salomon Perel (Marco Hofschneider), un jeune juif allemand, se retrouve successivement membre du Komsomol (organisation de la jeunesse communiste soviétique) en Pologne,  soldat dans la Wehrmacht sur le front russe, puis membre des Jeunesses hitlériennes en Allemagne. Dans Europa, Europa (Hitlerjunge Salomon, 1990), Agnieszka Holland dynamite au canon lourd et avec un humour dévastateur la pseudo-science nazie dont les préoccupations étaient plus idéologiques que scientifiques. Salomon - qui se fait désormais appelé Joseph Peters – assiste à un cours de science dans un centre de formation desdites Jeunesses hitlériennes, localisé à Brunswick, en Basse-Saxe. Le professeur Goethke (Erich Schwarz) se targue de reconnaître un juif à certains traits distinctifs. Très doctement, il commence sa leçon d’anthropologie et de raciologie appliquées : « Génétiquement, un juif est différent de nous, le juif a le front haut et le nez crochu, l’occiput plat, les oreilles proéminentes et une démarche de singe (..) il gesticule des mains, a des manières serviles ». Joignant le geste à la parole, Goethke imite la démarche d’un primate,  se déplaçant le dos courbé, l’air menaçant, les doigts écartés, fixant les élèves d’un œil réprobateur. L’abomination de son discours et le ridicule consommé de sa posture ne choquent manifestement pas ces élèves soumis à un endoctrinement généralisé depuis de nombreuses années. « La science est objective » poursuit le professeur, sans que celui-ci ne se rende compte qu’il se trouve face à un juif. Joseph, revêtu comme tous ses camarades d’un uniforme brun comparable à celui du NSDAP, le regarde, incrédule mais inquiet, face à ce déferlement de haine normalisée et assumée. C’est la distance créée entre ce que sait le spectateur et ce qu’ignore le professeur qui provoque le rire salvateur, celui qui empêche de pleurer, le seul à même de souligner l’absurdité de ce que raconte cet « expert racial ». Mais ce rire finit immanquablement par s’étrangler, puisque l’on sait que cette théorie de la hiérarchie raciale servit à justifier et donc à légitimer les pires atrocités. Le point de vue d’Agnieszka Holland souligne une volonté incontestable de tenir en respect la barbarie d’un régime politique et de tous ceux qui le servirent. Née à Varsovie en 1948, d’une mère catholique et d’un père juif, la réalisatrice n’a pas connu l’occupation allemande, mais sa mère participa, au sein de la Résistance polonaise, au soulèvement de Varsovie en 1944. Son film lui rend hommage.


mardi 26 décembre 2017

L'onirisme chez Charles Laughton

1
2
Avec les séquences de la douche ( Psychose/Psycho d’Alfred Hitchcock, 1960) et du discours final du barbier juif (Le Dictateur/The Great Dictator de Charlie Chaplin, 1940),  celle extraite de La Nuit du Chasseur (The Night of the Hunter de Charles Laughton, 1955), est l’une des plus célèbres du cinéma. Le cadavre de Willa Harper (Shelley Winters) se retrouve attaché à une voiture au fond d’une rivière. Elle vient d’être assassinée par son mari, le révérend Harry Powell (Robert Mitchum), faux pasteur mais criminel névrosé, qui maquille son crime en affirmant que sa femme a quitté le domicile conjugal. D’une noirceur totale, l’image irradie néanmoins une poésie qui a fait de Willa une victime expiatoire de l’hypocrisie et du fanatisme puritain que dénonce Charles Laughton. En dépit de la corde qui retient son corps au siège du véhicule, la jeune femme semble flotter dans ce noir et blanc aquatique (photogramme 1). La blancheur immaculée de sa robe est surlignée par les rayons de lumière qui transpercent la rivière, et son visage figé, encadré par la partie supérieure du pare-brise apparaît paradoxalement apaisé, presque somnolant. Seul le mouvement de ses cheveux accompagnant les ondulations des algues environnantes anime le cadre en s’opposant à l’immobilité de la voiture. Ces algues et les branches immergées d’un arbre mort cherchent à gifler ou à griffer la tête de Willa, comme si les éléments naturels étaient dotés d’une vie propre, bien dans l’esprit de ce conte macabre (photogramme 2). Cette esthétique vénéneuse doit beaucoup au directeur de la photographie de Charles Laughton, Stanley Cortez, qui compose des images oniriques, dépouillées de tout artifice, mais dotées d’un étrange pouvoir de séduction donnant au film, outre son caractère symbolique, un style poétique qui le place dans la mouvance gothique anglo-saxonne. Willa incarne, en effet, « une image poétique de la mort, d’un romantisme noir qui réunit l’épouvante et la beauté, la mort violente et la grâce pour en faire l’expession d’une mélancolie infinie» (1). Au fond de l’eau, l’infortunée Willa n’est plus que l’expression de nos terreurs enfantines : une mère tuée par une figure inoubliable du Malin, un ogre dont les actes nous font passer du conscient vers l’inconscient. Aujourd’hui reconnu comme un chef-d’œuvre incontournable, un film culte, La Nuit du Chasseur a été, au moment de sa sortie, un échec commercial et critique (même François Truffaut n’y vit que du feu) qui empêcha Charles Laughton de poursuivre sa carrière de réalisateur. Il fait partie, à l’instar d’un Erich von Stroheim ou d’un Michael Cimino, de ces cinéastes démiurges brisés par une industrie qui ne pardonne pas les échecs financiers. 

(1) Burkhard Rowenkamp, La Nuit du Chasseur dans 100 classiques du 7e art, Volume 1 : 1915-1959, Éditions Jürgen Müller, 2008,p.342


mardi 19 décembre 2017

La propagande chez Ralph Bakshi



Les Sorciers de la guerre (Wizards, 1977) de Ralph Bakshi est un film d’animation d’une rare puissance graphique. Après une déflagration atomique, le monde est sous la menace d’un être mutant, Blackwolf, qui rêve de prendre le pouvoir et d’asservir ceux qui ont survécu à la guerre nucléaire. Pour motiver ses troupes, il découvre, vestiges de l’ancien temps, un  projecteur de cinéma et des images d’archives datant de la Seconde Guerre mondiale. Démiurge aussi charismatique qu’illuminé, le sorcier Blackwolf projette devant ses soldats des discours d’un Hitler extatique et des scènes de guerre mettant en action les armées du IIIe Reich. Dans ce monde où la technologie avait disparu, le projecteur apparaît soudainement comme l’irruption d’une science oubliée dans un monde retourné à l’âge de pierre, régi par les lois de la barbarie. Saisissant instantanément la puissance de cet objet, Blackwolf en fait un extraordinaire vecteur de propagande belliciste, destinée aux masses . Il a compris également que le véritable pouvoir ne pouvait être que médiatique, et que celui-ci devait être contrôlé. Cette mise en abyme, animée par Ralph Bakshi, renvoie à tous les totalitarismes du XXe siècle. Lénine, Staline, Mussolini et Hitler ont toujours associé le cinéma à leur politique. Des trains spéciaux avec salles de projection circuleront dans les campagnes de Russie en 1918 pour vanter les mérites de la Révolution, les studios de Cinecitta fondés en 1937 à Rome permettront à Mussolini de glorifier le passé romain et le régime fasciste. Et Goebbels financera, dès 1933, toute l’industrie du film allemand. Blackwolf est tout autant le successeur de ces régimes, que celui qui, des profondeurs de l’enfer, détient l’arme ultime : l’image, capable de tétaniser, de décerveler et, au final, de manipuler des populations entières. Ces images guerrières sont instrumentalisées par le nécromancien qui cherche à infuser la haine de même qu’une foi militariste jusqu’au-boutiste dans le cerveau de ceux qui l’écoutent. D’un air vindicatif et les yeux injectés de sang, il harangue son armée de mutants, alors que celle-ci se prépare à son entreprise de conquête et de mort. Dans le premier plan, son regard caméra hypnotique et menaçant prend à partie le spectateur, puis le retournement du contrechamp à 180 degrés permet de voir ce que regarde Blackwolf : des oriflammes nazies, claquant au vent, et rappelant l’orchestration des défilés ou des cérémonies nationales-socialistes dans les villes et les stades allemands. La superposition d’images réelles  sur un dessin n’est certes pas  utilisée pour la première fois dans un film d’animation (les studios Disney avaient déjà réalisé en 1964, sur ce principe, Mary Poppins), mais le choix de Bakshi d’opposer des personnages cartoonesques à des images d’archives renvoyant à la peste brune crée une intertextualité aussi troublante qu’originale. Le choc entre la fiction et le souvenir de la guerre réelle – et à travers elle de toutes les guerres – matérialise une fable politique antidysneyenne dans laquelle, science, technologie, barbarie, guerre, pouvoir et propagande sont indissolublement liés. 


mercredi 13 décembre 2017

Le collaborateur chez Louis Malle


En 1944, dans un petit village du Lot, Lucien Lacombe, paysan fruste, sans éducation ni conscience politique, se retrouve, sans choix initial déterminé, dans la Gestapo française. Lui qui partageait son temps entre le nettoyage des sols dans un hôpital et des travaux au sein de la ferme familiale, se retrouve propulsé dans un univers dont il ne maîtrise ni la portée, ni les conséquences, au moment où les Américains viennent de débarquer sur les plages de Normandie. Il est désormais le bras armé de l’occupant, chargé de traquer les résistants et d’arrêter les juifs. Investi subitement d’une omnipotence et d’un pouvoir de vie et de mort sur autrui qui ne peuvent s’exprimer que parce qu’il est protégé par les Allemands, Lucien a tout d’abord opéré un changement vestimentaire, forcément d’emprunt, à la hauteur de son nouveau statut : la chemise blanche et le costume noir rayé tranchent radicalement avec les vêtements grossiers qu’il portait jusque-là. L’inclinaison de son corps et son attitude relâchée à la mesure de celle du soldat allemand à sa gauche, traduisent la normalité et la proximité qu’il a désormais avec les troupes d’occupation. Pourtant, Lucien sait à ce moment qu’il est devenu un homme à abattre pour la résistance qui ne lui pardonne pas sa trahison et son choix de se ranger au côté des tortionnaires. Mais, incapable de justifier une quelconque opinion idéologique, et uniquement mû par dépit et par le désir de revanche sociale, le jeune homme affiche la moue boudeuse de celui qui refuse de faire marche arrière. À travers ce personnage, Louis Malle propose donc une réflexion sur le problème de l'engagement et de ses rapports complexes avec des choix idéologiques ou non. Lorsque le film Lacombe Lucien est sorti en 1974, les critiques ont refusé de voir ce que Hannah Arendt avec remarquablement théorisé dans « Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal » (1963), ouvrage dans lequel la philosophe allemande pointait déjà l’insignifiance de l’organisateur de la Shoah, son absence de tout sens moral et son incapacité à faire la différence entre le bien et le mal. Lucien Lacombe, collaborateur de fortune, n’est que l’incarnation de cette médiocrité que la France post-gaulliste, encore imprégnée du résistancialisme (1) de l’après-guerre ne pouvait pas encore envisager. Il était manifestement impossible de voir un Français s’engager volontairement, sans conviction politique, dans la Gestapo, surtout en 1944. Dans le contexte de la démission du général de Gaulle (1969) et de sa mort (1970), les digues étaient pourtant en train de sauter une à une : Marcel Ophuls avait déjà tourné Le Chagrin et la pitié en 1969, un documentaire décrivant la vie quotidienne peu résistante à Clermont-Ferrand pendant l’Occupation, et Robert Paxton, universitaire américain, avait publié en 1972, La France de Vichy, 1940-1944, un livre dans lequel il décrivait toute l’implication du régime de Pétain dans la collaboration, la déportation et l’extermination des juifs. Le mythe de la France, unanimement dressée contre l’occupant, ne s’en relèvera pas.


(1) Terme inventé en 1987 par l’historien Henri Rousso pour qualifier l’idée développée par les gaullistes selon laquelle les Français auraient tous résisté pendant la guerre.


jeudi 7 décembre 2017

L'Indien chez Raoul Walsh




Ces trois photogrammes donnent l’impression de sortir tout droit de l’objectif du célèbre photographe et anthropologue Edward Sheriff Curtis qui mit sur pellicule, entre 1907 et 1930, plus de 50 000 photographies sur les tribus indiennes des États-Unis. Persuadé que celles-ci allaient disparaître, il décida d’établir l’inventaire de ce qu’elles avaient été avant l’arrivée des colons. En fait, ces photogrammes sont extraits de La Piste des géants (The Big Trail) de Raoul Walsh (1930). Ce premier grand western parlant relate l’épopée d’un convoi de pionniers empruntant la piste de l’Oregon à partir du Missouri pour rejoindre la terre promise. Au cours de leur odyssée ils devront affronter de multiples épreuves dont celle, inévitable, de l’attaque des Indiens. Mais contrairement à ses collègues James Cruze (La Caravane vers l’Ouest/The Covered Wagon, 1923) ou Cecil B.DeMille (Une Aventure de Buffalo Bill/The Plainsman, 1936) qui font de l’Indien un mécréant, cruel et sanguinaire, Raoul Walsh donne une véritable dimension humaine à ces Indiens. Tout d’abord, ce ne sont pas des acteurs blancs grimés en Peaux-Rouges, mais d’authentiques Cheyennes recrutés par la maison de production Fox Film Corporation qui figurent ce qui est en train d’être codifié : l’incarnation de la menace d’une Amérique primitive. Les coiffes et les vêtements ne sont visiblement pas des accessoires cinématographiques, les chants scandés et le langage des signes restituent une justesse ethnographique rarement vue à l’écran. La proximité de la date du film (1930) avec la fin de la Conquête de l’Ouest (1890) produit un hors-champ vertigineux qui donne leur valeur à ces photogrammes. Les plus âgés de ces figurants ont connu les ultimes feux de la vie nomade des tribus des Grandes Plaines, de la chasse au bison ou de la Danse du Soleil (interdite à ce moment depuis 1904). Leurs parents ont sans doute participé aux batailles de la Rosebud contre le général Crook (17 juin 1876) et de Little Big Horn contre le lieutenant-colonel Custer (25-26 juin 1876). C’est ce raccourci, entre réalité et fiction, que Walsh réussit à capter de manière saisissante, dans ce noir et blanc apte à rendre les caractéristiques d’un visage. Que pensent-ils de la recréation, forcément factice, forcément tragique, de leur mode de vie d’un autrefois pas si lointain, eux qui viennent tout juste d’obtenir la citoyenneté américaine en 1924 ? Être recruté, exposé quelques minutes par celui qui a spolié sa terre, anéanti un mode de vie, ne revient-il pas à accepter de n’être qu’une abstraction ou une figure de cire comme Sitting Bull a pu l’être pour le Wild West Show de Buffalo Bill en 1885 ? Même si les Cheyennes restent à l’arrière-plan du film, et s’ils n’échappent pas à la représentation caricaturale de l’ennemi, obstacle de la civilisation en marche, la noblesse de leur attitude tranche avec la cinématographie qui précède, et surtout celle qui va suivre au moins jusqu’aux années 50, y compris pour Raoul Walsh, pourtant très grand cinéaste hollywoodien, qui commettra probablement avec les Aventures du Capitaine Wyatt (Distant Drums, 1951), le western le plus raciste de l’histoire du genre.


mardi 5 décembre 2017

La chute chez Abraham Polonsky


Rarement l’infiniment grand aura à ce point écrasé l’infiniment petit. Dans L’Enfer de la corruption (Force of Evil), premier film réalisé par Abraham Polonsky en 1948, Joe Morse (John Garfield) est un avocat véreux, cynique et sans scrupules, lié à la mafia new-yorkaise. Chargé de rendre légal un système de paris illégaux, ses activités vont contribuer à l’assassinat de son frère Leo, bookmaker indépendant, honnête et désirant le rester. Réalisant enfin l’abjection de l’organisation criminelle qui l’emploie, il décide de se retourner contre elle et de la combattre. Rongé par le remords et par une prise de conscience tardive, Joe court dans les rues de New-York à la recherche du cadavre de son frère. En descendant cet immense escalier surplombé par un mur cyclopéen, il s’enfonce dans les profondeurs vénales de son âme en cherchant une rédemption à la hauteur de sa laideur morale passée. La verticalité de la paroi murale s’apparente à une falaise dont les blocs de pierre finissent par absorber la frêle silhouette dans son interminable désescalade vers un purgatoire qui doit le libérer du mal qui a causé la perte de Leo. Pour libérer sa conscience, payée au prix fort de la trahison fraternelle, il doit traverser cet espace froid et impersonnel pour voir, ultime catharsis, le cadavre de son frère, vision qui lui permettra de renaître et de retrouver le sens de son humanité. Mais ce rempart, véritable abstraction minérale, peut aussi matérialiser l’obstacle infranchissable que représente la mafia et ses ramifications tentaculaires dans tous les secteurs de la société. Par la grâce de la photographie de George Barnes, Joe n’est qu’un point quasiment invisible, un mort probablement en sursis, la boursouflure grotesque d’un corps social corrompu par le crime. Ayant perdu la puissance et son rang dans la société, Joe court après son honneur déchu, n’hésitant pas à transgresser les codes de son milieu, pour mieux tirer un trait sur son passé.  Héro tragique d’une histoire qui le dépasse, ce personnage va influencer une grande partie de la filmographie de Martin Scorsese, de Mean Streets (1973) à Raging Bull (1980) en passant par Taxi Driver (1976), dans lesquels la culpabilité, l’expiation des péchés et la rédemption sont omniprésentes. Abraham Polonsky paiera cher sa description de la mafia fonctionnant comme une entreprise capitaliste. Considéré comme « un très dangereux citoyen » par Harold Velde, un des présidents de la sinistre Commission des Activités antiaméricaines, le réalisateur, qui n’a jamais caché ses sympathies communistes, sera mis en 1951, en pleine période maccarthyste, sur une liste noire qui brisera net sa carrière ascendante. Il devra attendre 1969 pour pouvoir mettre en scène son deuxième et avant-dernier film. Ce sera Willie Boy (Tell Them Willie Boy Is Here) avec Robert Redford et Robert Blake.


vendredi 1 décembre 2017

Le joueur de poker chez Norman Jewison


Ce plan d’ouverture du film, Cincinnati Kid (Norman Jewison, 1965) a probablement été tourné par Sam Peckinpah avant que celui-ci ne soit renvoyé avec pertes et fracas par le producteur Martin Ransohoff pour être remplacé au pied levé par Norman Jewison. Huit joueurs, dont nous ne voyons que les mains, sont réunis autour d’une table et d’une partie de poker. L’angle de prise de vue, en plongée totale, et le cadrage choisi permettent de ne pas individualiser les différents protagonistes pour permettre de retarder le surgissement du personnage principal, Eric Stoner, dit le Kid (Steve McQueen), un joueur de poker à la renommée grandissante. L’action se passe à La Nouvelle Orléans et manifestement dans un bouge. La table en bois, les cendriers ébréchés, les allumettes disséminées et les manches défraîchies des joueurs témoignent du milieu dans lequel se déroule cet affrontement autant psychologique que financier. C’est le hors-champ qui donne en effet, toute sa valeur à ce plan : ce n’est pas un casino mais les bas-fonds et le monde interlope de la cité bordée par le Mississippi que filme Norman Jewison. Le bar sinistre, dans un sous-sol qui ressemble à une fosse, les éclats de voix tranchant l’air empesté par l’alcool, la petite porte de derrière permettant les fuites rapides de dernière minute, une galerie de personnages vivant la nuit, plus ou moins marginaux, tout cela éclot de manière instantanée. Le plan traîne une atmosphère fiévreuse, potentiellement porteuse de drames et de règlements de comptes. Le cigare à gauche et les cigarettes écrasées suggèrent une atmosphère enfumée, mais aussi une partie qui dure depuis plusieurs heures. Éclairés d’une lueur blafarde par une ampoule dénudée accrochée au plafond, ces hommes attablés dans ce tripot sont sur le point de terminer une manche, et la tension qui se dégage de la scène est proportionnelle au paquet de dollars au centre de la table, point de convergence des paires de mains toutes aussi avides les unes que les autres. Les quatre cartes visibles à gauche montrent qu’ils se livrent au Stud à cinq cartes, une des multiples versions du poker. Le donneur qui tient les cartes au bas de l’écran est en train de distribuer la dernière carte et c’est la combinaison la plus haute, réunissant les cartes visibles de tous plus la carte connue du seul joueur qui permettra à l’un d’entre eux de remporter la mise. Le joueur de poker est manifestement un personnage « sollicitant la chance pour mieux la défier et pour lequel perdre est une autre forme de jouissance, un balancement au-dessus de l’abîme » (1). Tous ces hommes sont visuellement unis par leur posture identique, mais séparés par la confrontation qui les oppose jusqu’au terme d’une épuisante bataille.


(1)  Dictionnaire des personnages du cinéma, sous la direction de Gilles Honfleur, Bordas, 1988 p.232.


mardi 14 novembre 2017

L'égalité des droits chez John Ford



Une salle de classe dans la ville de Shinbone quelque part dans l’Ouest. Un avocat, Ransom Stoddard (James Stewart), momentanément transformé en instituteur, s’adresse à des « élèves » de tous les âges et de toutes les origines. De gauche à droite, tenant une ardoise, Pompey, un Afro-Américain (Woody Strode), une immigrée suédoise Nora Ericson (Jeanette Nolan) elle aussi équipée d’une tablette à écrire, deux rangées d’enfants d’origine mexicaine et Hallie (Vera Miles), la fille de Nora à droite de Ransom, puis à l’arrière toute une galerie de personnages WASP (White Anglo-Saxon Protestants), allant du shériff Link Appleyard (Andy Devine) adossé au mur à des hommes et des femmes aux fonctions indéterminées. Dans cette séquence de l’Homme qui tua Liberty Valance (The Man who shot Liberty Valance de John Ford, 1962) et à travers ce microcosme shinbonien, le réalisateur reconstitue le creuset culturel, propre à la société américaine, fruit de la politique d’intégration et d’assimilation pratiquée depuis les origines. Dans cet Ouest encore sauvage où tout se règle encore à coups de poings et de colts, Ransom Stoddard, épris de justice, entend imposer la loi, l’ordre et donc la civilisation qui doivent inévitablement se substituer à la violence et à la sauvagerie. Pour éduquer ses « élèves » et créer une adhésion autour de l’universalisme républicain, Ransom introduit l’analyse de la Déclaration d’indépendance des États-Unis rédigée par Thomas Jefferson en 1776 en leur demandant s’ils connaissent ce texte fondateur. Pompey, hésitant, finit par lever la main et se lève de son banc. John Ford ne nous dit pas grand-chose sur lui. Peut-être est-il un ancien esclave qui a choisi de vivre dans l’Ouest ? Toujours est-il qu’il est au service de Tom Doniphon (John Wayne) qui l’utilise comme homme à tout faire. Debout donc face à Ransom (mais surtout face au spectateur), il ânonne et ne parvient pas à dire les premières phrases du texte de la Déclaration : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux …..» À sa droite, une ombre se découpe sur le mur, sous le portrait d’Abraham Lincoln posé sur une étagère. À ce moment, Pompey et le Président qui a aboli l’esclavage le 1er janvier 1863 ne font plus qu’un. Tout à sa honte de ne pouvoir dire les mots justes, le visage de Pompey se voile d’un embarras et d’une gêne. En bon pédagogue, Ransom le félicite néanmoins tout en surenchérissant sur le fait que nombreuses sont les personnes qui ont oublié ce passage. Ce plan renvoie immédiatement à un autre film de Ford, Le Sergent noir (Sergeant Rutledge, 1960) dans lequel celui-ci a donné à Woody Strode le rôle principal d’un soldat afro-américain accusé à tort d’avoir violé et tué une jeune fille blanche. Mais Ford contextualise aussi l’attitude de Pompey. En 1962, le Mouvement des droits civiques avait déjà, aux États-Unis, entamé la lutte pour obtenir l’égalité des droits politiques. Le film se situe entre le décret du Président Kennedy instaurant l’affirmative action pour lutter contre les discriminations raciales à l’embauche (1961) et la Marche sur Washington, au cours de laquelle Martin Luther King prononça son célèbre discours I have a dream (1963). Humaniste républicain, soucieux de justice et profondément mélancolique, John Ford nous livre son point de vue sur ce que devraient être les États-Unis : une société inclusive et ouverte sur toutes les différences, même s’il sait probablement que les passages de la Déclaration de 1776 concernant l’esclavage ont été finalement supprimés pour ne pas mécontenter les États du Sud, dont l’économie reposait essentiellement sur la main d’œuvre servile.


mercredi 8 novembre 2017

L'impérialisme chez Douglas Hickox



Le 22 janvier 1879, au cours de la bataille d’Isandhlwana, l’armée britannique subit en Afrique du Sud une débâcle retentissante, face à une machine de guerre hors du commun, l’impi (régiment) composée de 20 000 Zoulous. Au canons, aux fusils et à la discipline britannique toute martiale, les Zoulous opposent des sagaies et des boucliers. À priori supérieure sur le plan militaire et matériel, l’armée de Lord Chelmsford s’est pourtant fait piéger dans ces collines herbeuses jaunies par le soleil austral. Dans L’Ultime attaque (Zulu Dawn, 1979), Douglas Hickox tire à boulets rouges sur l’impérialisme britannique et son arrogance à vouloir soumettre, au nom de la reine Victoria, un royaume encore indépendant, le Zoulouland, à l’instar d’une partie de l’Afrique allant, du Nord au Sud, de l’Égypte à l’Afrique du Sud. La puissance géopolitique britannique est alors à son zénith et sa domination mondiale justifie le titre de « l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais ». De cette omnipotence et de ce sentiment de supériorité, les deux photogrammes indiquent pourtant tout le contraire : deux cavaliers découvrent avec stupéfaction, en contrebas d’une cuvette, l’impi qui s’était dissimulé autour d’un plan d’eau. Un murmure à peine perceptible s’élève tout d’abord, puis une immense clameur sortie de la gorge de milliers de Zoulous transperce le calme précaire qui régnait jusqu’alors dans la région. Et soudain, une immense vague noire se dresse face aux envahisseurs, déterminée à tout balayer sur son passage pour préserver une culture et un mode de vie. Les coups sourds démultipliés des lances sur les boucliers, les cris de guerre, le martellement des pieds nus qui font tanguer la terre, la charge irrésistible au mépris des corps qui tombent sous les salves britanniques, sont autant de signes annonciateurs de la défaite de l’armée de Sa Majesté, défaite déjà visible dans ces lignes de défense des red coats très vulnérables, étirées sur des dizaines de mètres et incapables de subir un choc frontal et massif d’une telle puissance. La tactique zouloue utilisée est celle de la tête de buffle : deux corps d’armée sur les ailes matérialisant les cornes d’un buffle et un autre au centre (photogramme 2) pour la tête organisent l’impi, redoutable force de frappe particulièrement quand les Zoulous sont en surnombre. À la suite de Lindsay Anderson (If …., 1968) ou de Tony Richarson (La Charge de la Brigade légère/The Charge of The Light Brigade, 1968) qui dynamitent tous les deux les certitudes, le premier sur le système scolaire anglais et le deuxième sur l’intervention britannique en Crimée en 1854, Douglas Hickox témoigne d’un désenchantement politique en mettant à vif les enjeux qui sous-tendent l’impérialisme que son pays a érigé en porte-étendard, particulièrement entre 1815 et 1914 : la conquête de territoires au nom d’impératifs économiques (le sous-sol de l’Afrique du Sud regorge de métaux précieux),  idéologiques (il faut éradiquer les pouvoirs locaux jugés barbares au nom de la mission civilisatrice occidentale forcément supérieure), politiques (le Royaume-Uni se doit de tenir son rang de grande puissance dans le monde) et géographiques (l’Afrique du Sud et particulièrement la ville du Cap  contrôlent la route maritime en direction des Indes). Bien que victorieux à Isandhlwana, les Zoulous ne savent pas encore qu’ils vivent en fait leurs dernières semaines de liberté. Leur défaite à la bataille d’Ulundi, le 4 juillet 1879, achèvera de sceller leur sort. 


mercredi 1 novembre 2017

La réserve amérindienne chez Taylor Sheridan


Aspirée par l’obscurité et écrasée par les cimes souveraines des Rocheuses, Natalie, une jeune Arapaho court sur l’étendue enneigée d’une vallée, quelque part dans la réserve amérindienne de Wind River au Wyoming. Un plan de solitude et de mort dans un espace magnifié. Un souffle d’air glacé traverse la séquence d’ouverture de Wind River (Taylor Sheridan, 2017) pour évoquer une dramaturgie hivernale en noir et blanc. Pieds nus, pleurant, gémissant, tout en courant à perdre haleine et transie de froid, ce froid qui mord petit à petit tous ses membres, la jeune femme semble fuir quelque chose ou quelqu’un. Éclairée par une pleine lune spectrale, l’ombre de la silhouette de Natalie s’allonge démesurément sur le manteau neigeux qui recouvre ce territoire immense, hostile et encore sauvage. La nature n’est ici en rien contemplative, mais elle contribue par son âpreté et son immobilisme à l’enfermement de l’infortunée amérindienne. Le choix du plan de grand ensemble permet d’anéantir ce personnage, de le rendre plus fragile. La distorsion des différentes échelles entre l’infiniment petit et l’infiniment grand accentue encore la thématique qui organise l’image : le désespoir d’une jeune femme qui doit lutter tout autant contre un hors-champ dont nous ne savons rien pour l’instant, que contre une nature démesurée et grandiose mais particulièrement dangereuse puisqu’infestée de loups et de coyotes, mais aussi contre un hiver qui oppresse comme dans les mauvais rêves. Mais l’équation réunissant réserve, tribu amérindienne et États-Unis contribue inévitablement au surgissement mémoriel de films comme Willie Boy (Tell them that Willie Boy is here d’Abraham Polonsky, 1969), Powwow Highway de Jonathan Wacks (1989), Cœur de Tonnerre (Thunderheart de Michael Apted, 1992), Phoenix Arizona (Smoke Signals de Chris Eyre, 1998) ou encore Frozen River de Courtney Hunt (2008). Les cinéastes y évoquent les problèmes endémiques auxquels doivent faire face les différentes tribus : la pauvreté, le racisme, les ravages liés à la drogue et à l’alcool, mais surtout les disparitions de femmes qui n’intéressent guère les autorités autres que tribales, et qui sont destinées à rester impunies. Scénariste de Sicario (Denis Villeneuve, 2015) et Hell and High Water (David Mackenzie, 2016), Taylor Sheridan filme la violence immédiatement perceptible d’un présent qui n’a plus de futur. La neige est encore blanche mais elle va, dans les secondes qui suivent, se teinter de rouge. Prise de panique et incapable de raisonner, Natalie ne se rend pas compte que l’air glacial va provoquer chez elle une hémorragie pulmonaire fatale. Un instant interrompu par l’irruption des cris et des pleurs, le silence de la vallée va reprendre ses droits, comme la neige va recouvrir un cadavre.


mardi 24 octobre 2017

La transgression chez Claude Chabrol


Marie Latour (Isabelle Huppert) est une femme qui, dans la France de Vichy, brise tous les tabous. Insatisfaite à l’image d’Emma Bovary, elle est, moyennant rétribution, faiseuse d’anges alors que la morale corsetée pétainiste interdit l’avortement, elle loue une chambre à une prostituée, Lucie (Marie Trintignant) pour profiter de ce commerce illicite, elle repousse son mari Paul (François Cluzet), de retour de captivité qui est l'incarnation vivante de la défaite de 1940, elle néglige sa famille, particulièrement son fils, alors que la devise Travail, Famille, Patrie, de la « Révolution nationale » chère à Pétain, est dans tous les esprits et enfin elle fréquente un collaborateur qui « ratisse les mauvaises herbes ». Dans Une Affaire de femmes (Claude Chabrol, 1988), Marie, sans éducation, sans conscience politique et l’amoralité chevillée au corps, tente par tous les moyens de survivre dans cette France du marché noir, des restrictions alimentaires, du couvre-feu et de la guerre lointaine mais omniprésente. L’argent gagné lui donne une indépendance et une liberté nouvelle dont elle entend pleinement profiter et qui se reflète dans sa manière d’être : sa coiffure au volume maîtrisé, son maquillage, son pull blanc en angora témoignent d’une aisance financière qui tranche avec l’austérité de l’époque. À rebours de la femme, bonne mère et épouse irréprochable, Marie transgresse la politique nataliste du régime de Vichy, mais aussi tous les rapports de force entre les hommes et les femmes qui structurent la société et qui ne peuvent exister qu’au détriment de celles-ci. Enivrée par son indépendance et par cette réussite aussi soudaine qu’improbable dans ce monde patriarcal, Marie finit par être dénoncée et, alors qu’elle joue dans la cour de son immeuble avec, une fois n’est pas coutume, son fils, deux policiers viennent l’arrêter. Les deux hommes au premier-plan et le mur à l’arrière-plan l’enferment dans une nasse. Ses yeux témoignent de son étonnement et de son incrédulité. Pourquoi vient-on l’arrêter ? Quel mal a-t-elle fait semble-t-elle demander ? Sa combativité se fige un instant et pour la première fois, le réel (la police de Vichy) rattrape l’apparence (les vêtements de Marie) et l’aveuglement de celle qui croyait pouvoir s’affranchir des règles de la société tout en choisissant son destin. Si les autorités sont aussi promptes à l’arrêter, c’est d’abord pour mettre fin aux avortements mais c’est surtout pour briser cette femme qui a osé affirmer haut et fort sa liberté et ses désirs. À l’instar de Violette Nozière (Violette Nozière,1978) ou d’Emma Bovary (Madame Bovary,1991), Marie Latour fait partie de ces femmes qui fascinent Claude Chabrol par leur force et leur détermination à exister envers et contre tous les préjugés. Faute de se fondre dans un moule, elles ne peuvent qu’être broyées.


samedi 21 octobre 2017

Le spectre chez Kevin Costner


Cette apparition fantomatique est le fruit du cauchemar que fait Charley Waite (Kevin Costner, devant et derrière la caméra) dans Open Range (2003). Charley est un cowboy qui sous les ordres de son patron, Boss Spearman (Robert Duvall), mène un troupeau de chevaux à travers l’immensité des plaines de l’Ouest américain. Leur itinérance les mène à Harmonville, un bourg contrôlé par un grand propriétaire, Denton Baxter (Michel Gambon) et un shérif corrompu. L’affrontement apparaît inévitable entre un potentat refusant qu’un troupeau autre que le sien ne traverse le territoire qu’il contrôle et un groupe de cowboys indomptés, refusant toute atteinte à leur liberté. Ce schéma ultra-classique du genre est toutefois rehaussé par une dimension fantastique assez rarement exploitée dans un cadre où le réel, fantasmé ou pas, est le plus souvent de mise. Kevin Costner cadre ici un homme, silencieux et immobile, dans l’encoignure d’une pièce. Sa silhouette statufiée se confond avec le noir intense qui enveloppe le salon dans lequel s’est assoupi Charley. Alors que l’orage gronde à l’extérieur, le reflet bleuâtre d’un éclair se réverbère sur la tête de ce spectre recouverte d’une étoffe de drap blanc, percée de deux trous au niveau des yeux. Son immobilité, dans cet espace subitement devenu irréel, donne au personnage une aura glaciale et cauchemardesque. Cette atmosphère crépusculaire renvoie directement à Impitoyable (Unforgiven, 1992) de Clint Eastwood. Le passé meurtrier de Will Munny (Clint Eastwood) est le miroir de celui de Charley Waite. Les deux ont vécu autrefois dans la violence et maîtrisent mal leurs démons intérieurs qui finissent immanquablement par les submerger. Esthétiquement et figurativement, et dans leur volonté de dépouiller l’Ouest de sa légende, Eastwood et Costner filment un univers sombre dans lequel ces personnages tourmentés donnent de l’Amérique une image trouble et morbide.  Dans un tel contexte, la violence la plus éruptive le dispute à la démythification des héros. Mais si cette apparition spectrale matérialise un homme de main du grand propriétaire que Charley a déjà croisé sur sa route, elle est surtout l’allégorie d’une lutte permanente entre Charley et ses cauchemars, d’un passé qui le hante, d’une résurgence de souvenirs qui le renvoient sans cesse à son enfance et à son premier meurtre, à son intégration dans une unité spéciale, chargée d’exactions pendant la guerre de Sécession, y compris contre des civils et à se mettre, après la fin des hostilités entre le Nord et le Sud, au service d’individus comme Baxter. Le spectre n’est donc que le double de ce que Charley a été autrefois, un homme qui a tué et qui ne se remet pas de l’avoir fait. Ces fantômes qui l’obsèdent sont sa damnation qu’il cherche par tous les moyens à transcender. C’est finalement une femme, Sue Barlow (Annette Bening), qui parviendra à faire renaître Charley.


samedi 30 septembre 2017

Le train chez John Sturges


Le générique du film, Un Homme est passé (Bad Day at Black Rock, 1955) s’ouvre sur un train lancé à toute vitesse à travers le désert. À partir de ce symbole de modernité et de technologie, John Sturges emprunte tous les codes du western pour fixer les décors de sa trame narrative qui se déroule au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quelque part en Arizona (le film a été en fait tourné en Californie, à Lone Pine aux pieds des Alabama Hills). Encerclé par le désert qui s’étend à perte de vue et au-delà, écrasé par le soleil brûlant, Black Rock est un bourg assoupi, resté figé dans la réalité immuable de la Conquête de l’Ouest du XIXe siècle. Des hommes autrefois se sont installés ici et ont tenté de créer un îlot civilisationnel en dépit des conditions climatiques et géographiques particulièrement répulsives. Des maisons en bois, dont l’une, un hôtel, apparaît plus imposante que les autres avec sa galerie, s’étirent timidement le long d’une rue principale. Black Rock est avant tout un lieu de solitude humaine, contredit néanmoins par le train et les poteaux télégraphiques qui le relient au monde extérieur. Mais la ligne de fuite soulignée par la voie ferrée semble se fracasser sur cette chaîne de montagne qui brise l’horizon, isolant encore davantage ce bourg figé dans la chaleur sèche du désert. « Rarement la petitesse des hommes face à l’immensité de la nature a été rendue avec tant de force » (1). C’est encore l’isolement et l’espace fruste environnant qui déterminent les mœurs et la culture de ceux qui, de manière volontaire ou contrainte, continuent de vivre ici, alors que les flux migratoires liés à la découverte de l’or ou à la conquête de nouvelles terres ont depuis longtemps cessé. Black Rock, angle mort géographique et humain, est à peine un lieu de passage puisque le train ne s’y est plus arrêté depuis quatre ans. En effet, quel voyageur assez fou ou assez téméraire, serait prêt à choisir cet hôtel pour y passer ne serait-ce qu’une nuit ? Quel employeur serait assez inconscient pour y créer une quelconque activité économique, alors que les habitants se comptent sur les doigts des deux mains ? L’absence d’église vient souligner de manière significative que la civilisation ne fait que balbutier à Black Rock. Le cinémascope donne sa magnificence à ce décor rude et austère qui s’étire à l’infini dans un silence que seuls le roulement et l’aérodynamisme du train viennent troubler.  Sauf que, contre toute attente et à la surprise générale des habitants, ce train va cette fois-ci s’arrêter. L’homme qui en descend va, à tout jamais, changer le cours de l’histoire de ce bourg perdu.

(1) Un siècle de cinéma américain en 100 films, tome 1 : Le règne des studios et l’âge d’or : 1930-1960 de Benoît Gourisse, éditions Lettmotif, 2016, p.432


vendredi 22 septembre 2017

La délation chez Henri-Georges Clouzot



Ce plan tiré du Corbeau (Henri-Georges Clouzot, 1943) est d’une noirceur que le temps n’a pas effacée. Marie Corbin (Héléna Manson) est une infirmière, accusée d’être responsable des lettres anonymes signées « le Corbeau » qui circulent dans la petite ville de Saint-Robin, quelque part dans la France occupée de 1943. Cette avalanche de lettres toutes plus ignobles les unes que les autres, rompt la sérénité de ce bourg en accusant particulièrement les notables de tous les maux et de toutes les turpitudes. Du médecin-chef de l’hôpital au maire, en passant par l’assistante-sociale ou le substitut, personne n’échappe à la campagne de délation orchestrée par un mystérieux inconnu. Or, la rumeur publique se porte très rapidement sur l’infirmière Marie Corbin. Le portrait qu’en fait le réalisateur est à l’image de tous les autres, particulièrement corrosif : elle n’éprouve aucune compassion pour ses malades, n’hésite pas à faire les poches du docteur Germain (Pierre Fresnay), ne craint pas de détourner de la morphine au profit du docteur Vorzet (Pierre Larquet) et surveille maladivement sa sœur Laura (Micheline Francey) qui se trouve être la femme du docteur Vorzet. Dans ce microcosme urbain et social, elle est donc le bouc-émissaire parfait, la coupable idéale, revêche, acariâtre, acrimonieuse, catalysant toutes les haines et les rancoeurs d’une bonne partie de la population. Au cours de l’enterrement d’un ancien malade qui a choisi de se suicider après avoir reçu une lettre du Corbeau lui déclarant la nature incurable de son mal, Marie Corbin est prise à partie par la population et préfère fuir la foule grondante et menaçante pour se réfugier chez elle. Une fois dans son appartement, elle s’aperçoit que la vindicte populaire a déjà frappé : sa chambre est sens-dessus-dessous et le mobilier brisé à l’image de ce miroir, au-dessus de la cheminée, vers lequel elle se dirige. La caméra effectue un travelling avant sur le reflet de Marie alors que celle-ci entre dans le champ, de dos. En proie à un grand trouble émotionnel et à une peur panique face au lynchage possible, le reflet de son visage apparaît fracturé, balafré par les brisures de la glace. Ses yeux hypnotiques, exorbités par l’angoisse traduisent toutes les déchirures de sa vie : la solitude, la frustration et la mise au ban de la société. Revêtue d’une cape noire et d’une coiffe qui l’apparente à une silhouette inquiétante, Marie Corbin est d’abord la victime d’une campagne de délation déclenchée à Saint Robin, mais au-delà aussi, le réceptacle métaphorique des bassesses sociales qui sévissent à cette époque dans toute la France (il y eut pendant la guerre entre 150 000 et 500 000 lettres de dénonciations adressées à la police française, à la Gestapo ou à l’Institut d’études des questions juives). Les soupçons qui pèsent sur l’infortunée infirmière figent ses traits pour former un masque de terreur et d’incertitude sur son sort. Alors qu’elle reste figée un court moment devant le miroir, Marie tourne brusquement la tête vers un hors-champ matérialisé par les cris de la foule en colère qui scande son nom. Elle n’est plus à ce moment-là, qu’une réprouvée, une paria, livrée en pâture aux débordements de la populace aveugle et vengeresse.  

Interdit à la Libération pour pessimisme aggravé, Le Corbeau a eu le tort d’être financé par des capitaux allemands au sein de la firme Continental. Dès la sortie du film et surtout après 1945, des voix issues de la Résistance s’élèvent pour clouer au pilori Henri-Georges Clouzot, coupable d’avoir montré les habitants d’une petite ville française sous un jour particulièrement ignominieux. La Commission d’épuration du Comité de libération du cinéma français d’octobre 1944 va lui interdire de tourner (ainsi qu’à la plupart des acteurs et actrices du Corbeau) et il faudra attendre 1947 pour que le réalisateur puisse à nouveau travailler. Ce sera Quai des orfèvres avec Louis Jouvet qui obtiendra le prix international de la mise en scène au festival de Venise de la même année.


lundi 18 septembre 2017

Le défi chez Jean-Pierre Melville



Le déroulement du hold-up de la bijouterie dans Le Cercle rouge (1970) rend directement hommage aux films de John Huston, Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950) et de Jules Dassin, Du Rififi chez les hommes, 1955. Trois malfrats masqués s’introduisent nuitamment dans une bijouterie de la place Vendôme à Paris, pour en cambrioler le contenu. Dans cette séquence typiquement melvillienne, austère et épurée, le réalisateur joue à la fois sur la durée (25 minutes sans dialogues ni musique) et l’espace (un lieu clos coupé du monde) en créant une tension dramatique qui culmine à cet instant. Après avoir neutralisé le gardien chargé de la surveillance, les cambrioleurs masqués se trouvent dans l’entrée de la salle des bijoux. Au bout d’une ligne de fuite matérialisée par le plancher, une grille, à l’arrière-plan, protège l’accès à une clé fichée dans le mur. Celle-ci commande à distance l’ouverture ou la fermeture des vitrines remplies de bijoux, mais aussi toutes les cellules photoélectriques qui interdisent la circulation dans la salle d’exposition. Le seul moyen pour y accéder sans déclencher le système d’alarme est de tirer une balle capable d’enfoncer la clé pour enclencher le mécanisme d’ouverture des vitrines et couper les signaux détecteurs de mouvement. C’est pour cela que Corey (Alain Delon), un ancien taulard libéré et Vogel (Gian Maria Volonte), un truand en cavale, engagent un tireur d’élite, Jansen (Yves Montand). Celui-ci, contrairement à ses deux comparses, est vêtu d’un Borsalino et d’un complet-veston noir. Il vient, en grand professionnel, d’installer un trépied pour y fixer un fusil à lunette afin d’avoir la meilleure stabilité possible pour accomplir le geste parfait.  Dans ce champ-contrechamp à 180 degrés, la profondeur de champ rend la cible très lointaine et le silence de l’action vient renforcer l’atmosphère oppressante qui envahit progressivement la scène, alors qu’au-dehors la ville est endormie. Mais soudain, brisant le hiératisme de ses collègues et le rituel préparatoire au tir, Jansen s’empare avec une rapidité fulgurante de son fusil, le détache du trépied, vise et presse sur la détente pour toucher au millimètre près sa cible, déconnectant ainsi le système d’alarme. Un instant interloqués, Corey et Vogel ne peuvent que constater la réussite exceptionnelle de ce tir qui leur permet de faire main basse sur les bijoux. Ancien flic révoqué noyant sa désespérance dans l’alcool et la solitude, Jansen vient de réussir un défi, un coup de maître qui le réhabilite, non pas aux yeux de la société mais à ses propres yeux. D’épave, il est redevenu ce qu’il était autrefois, un grand policier reconnu pour son habileté à manier les armes à feu. Cette victoire sur ses démons intérieurs, ce dépassement de soi, lui permettent de retrouver une dignité qui fait l’essence même des personnages melvilliens. À l’instar de Gu Minda (Le Deuxième souffle, 1966), ou de Jeff Costello (Le Samouraï,1967), Jansen, nimbé d’une aura tragique et ambigüe, cherche à rompre le cercle de l’enfermement et la spirale infernale de son déclassement pour obéir à un code de l’honneur composé de règles impossibles à transgresser : la droiture, la fraternité et la responsabilité. C’est cette morale chevillée au corps qui explique le geste de Jansen, qui, grand seigneur, refusera sa part du butin puisque l’essentiel a été atteint : retrouver son humanité.


dimanche 10 septembre 2017

La culpabilité chez Martin Zandvliet



Danemark, mai 1945. Sur une plage comme il y en a tant dans ce pays libéré par les Britanniques, sous un ciel immense, et devant la mer au loin, inaccessible, un groupe de jeunes prisonniers allemands, âgés de 15 à 18 ans et rescapés du Volksturm, (la milice populaire créée par Hitler en 1944) est chargé de déminer un espace dans lequel ont été enfouies par les troupes du Reich, des milliers de mines terrestres. Dans Les oubliés (Unter dem Zand de Martin Zandvliet, 2015), ce cadre géographique, particulièrement anxiogène, est quasiment un huis clos à ciel ouvert. Rampant avec de multiples précautions, ces adolescents sondent le sable avec une tige en métal, à l’écoute du moindre impact. Ces mines invisibles, tapies quelques centimètres sous leurs corps n’attendent qu’une vibration pour enclencher le détonateur qui entraînera fatalement de graves mutilations, voire la mort. Encore revêtus de leurs uniformes, alors que les canons se sont tus en Europe, ils poursuivent malgré eux une guerre, loin de leurs foyers et de leurs souvenirs. Comme s’ils devaient expier les crimes de la génération de leurs parents, ces soldats d’infortune doivent supporter la haine des Danois qui ne voient en eux que des rejetons ayant été enfantés par un régime criminel.  Forcément coupables, bien qu’à peine nés au moment de la prise du pouvoir par Hitler, le 30 janvier 1933, et littéralement écrasés par cette faute originelle, ils doivent racheter toute une nation qui s’était jetée dans les bras d’un homme, entraînant vers l’abîme leur pays et tout un continent. Dans un silence sépulcral, l’horreur de l’enfermement, la peur précédant chaque nouvelle reptation et l’attente de l’explosion s’opposent à un cadre géographique en apparence bucolique constitué de plages de sable fin s’étendant jusqu’à la fin des temps pour se fondre enfin dans la mer du Nord. Résonnant autrefois des rires et des cris des vacanciers, ce littoral est désormais devenu un espace vide et répulsif, un champ de bataille sur lequel ces adolescents affrontent, en ligne, la mort à mains nues. Mort subite, mort en sursis, mort future, l’inéluctable devient le quotidien de ces silhouettes sur fond blanc. Le regard que pose Martin Zandvliet sur ce sujet est sans concession puisque la violence physique et morale est utilisée ici pour justifier le retour à la normale pour une population danoise éprouvée par cinq années d’occupation allemande. Il n’y a – à priori -  pas de pardon possible pour les enfants du nazisme.


samedi 2 septembre 2017

Le romantisme noir chez Jacques Becker


Dans Casque d’or (1952), Marie (Simone Signoret) et Georges Manda (Serge Reggiani) incarnent deux amants dont la trajectoire amoureuse, innocente et tragique illumine le Paris de la Belle Époque : elle est une prostituée du quartier de Belleville, et lui, un ancien truand voulant fuir son passé et cherchant par tous les moyens à s’acheter une bonne conduite. Au cours d’une déambulation amoureuse dans la capitale, Marie entraîne son amant vers une église dans laquelle est célébré un mariage. Soudain, le temps s’arrête un court instant. Alors que résonne un cantique, la caméra fige le couple dans une émotion partagée. Dans le rôle-titre, Marie n’a jamais aussi bien mérité son surnom de « casque d’or » qu’à ce moment : par l’entrebâillement du portail, la lumière du jour éclaire le haut de sa tête pour former un halo lumineux mettant en évidence le visage radieux de cette femme qui veut vivre son amour en toute liberté, à une époque où les conventions corsètent la vie privée et publique des femmes. Sa chevelure blonde irradie toute la scène d’une lueur incandescente. Le châle qu’elle a rabattu sur sa tête encadre son visage dont les contours dessinent une douceur et un espoir étourdissant, pour un futur forcément radieux. Son sourire esquissé et ses yeux brillants en disent long sur sa rêverie et sa sincérité dans les sentiments qu’elle éprouve pour Manda. Revêtu d’une veste noire, ce dernier, les cheveux courts en opposition à la chevelure abondante que l’on devine chez Marie, un mouchoir de toile noué autour du cou et sa casquette à la main, semble envahi, lui, par une tristesse contrastant radicalement avec le rayonnement de Marie. Une fêlure intérieure se lit sur ce visage dont les yeux aux paupières tombantes et le sourire timide et emprunté révèlent un trouble existentiel, un romantisme noir qui le ramènent sans cesse à son passé tumultueux de voyou. Devenu charpentier, il cherche à se consumer dans cette relation, mais reste vulnérable et soumis à un fatum qui plane sur lui, l’empêchant de goûter pleinement à cet amour. Le caractère prédestiné du personnage, la mort qui rôde comme un prédateur (il a tué au couteau dans un duel nocturne le souteneur de Marie) font peser sur le couple une aura tragique qui renvoie à l’univers des films de Julien Duvivier dans lesquels l’aspiration des protagonistes (acquérir une guinguette au bord de la Seine pour cinq anciens chômeurs ayant gagné à la loterie nationale dans La Belle Équipe, rejoindre Paris pour un malfrat réfugié dans la Casbah d’Alger dans Pépé le Moko, vivre un bonheur intense auprès d’une femme pour le misanthrope Monsieur Hire dans Panique), se heurte systématiquement à l’impossibilité de vivre un rêve inaccessible et à l’incapacité de prévenir l’inéluctable.