mercredi 1 novembre 2017

La réserve amérindienne chez Taylor Sheridan


Aspirée par l’obscurité et écrasée par les cimes souveraines des Rocheuses, Natalie, une jeune Arapaho court sur l’étendue enneigée d’une vallée, quelque part dans la réserve amérindienne de Wind River au Wyoming. Un plan de solitude et de mort dans un espace magnifié. Un souffle d’air glacé traverse la séquence d’ouverture de Wind River (Taylor Sheridan, 2017) pour évoquer une dramaturgie hivernale en noir et blanc. Pieds nus, pleurant, gémissant, tout en courant à perdre haleine et transie de froid, ce froid qui mord petit à petit tous ses membres, la jeune femme semble fuir quelque chose ou quelqu’un. Éclairée par une pleine lune spectrale, l’ombre de la silhouette de Natalie s’allonge démesurément sur le manteau neigeux qui recouvre ce territoire immense, hostile et encore sauvage. La nature n’est ici en rien contemplative, mais elle contribue par son âpreté et son immobilisme à l’enfermement de l’infortunée amérindienne. Le choix du plan de grand ensemble permet d’anéantir ce personnage, de le rendre plus fragile. La distorsion des différentes échelles entre l’infiniment petit et l’infiniment grand accentue encore la thématique qui organise l’image : le désespoir d’une jeune femme qui doit lutter tout autant contre un hors-champ dont nous ne savons rien pour l’instant, que contre une nature démesurée et grandiose mais particulièrement dangereuse puisqu’infestée de loups et de coyotes, mais aussi contre un hiver qui oppresse comme dans les mauvais rêves. Mais l’équation réunissant réserve, tribu amérindienne et États-Unis contribue inévitablement au surgissement mémoriel de films comme Willie Boy (Tell them that Willie Boy is here d’Abraham Polonsky, 1969), Powwow Highway de Jonathan Wacks (1989), Cœur de Tonnerre (Thunderheart de Michael Apted, 1992), Phoenix Arizona (Smoke Signals de Chris Eyre, 1998) ou encore Frozen River de Courtney Hunt (2008). Les cinéastes y évoquent les problèmes endémiques auxquels doivent faire face les différentes tribus : la pauvreté, le racisme, les ravages liés à la drogue et à l’alcool, mais surtout les disparitions de femmes qui n’intéressent guère les autorités autres que tribales, et qui sont destinées à rester impunies. Scénariste de Sicario (Denis Villeneuve, 2015) et Hell and High Water (David Mackenzie, 2016), Taylor Sheridan filme la violence immédiatement perceptible d’un présent qui n’a plus de futur. La neige est encore blanche mais elle va, dans les secondes qui suivent, se teinter de rouge. Prise de panique et incapable de raisonner, Natalie ne se rend pas compte que l’air glacial va provoquer chez elle une hémorragie pulmonaire fatale. Un instant interrompu par l’irruption des cris et des pleurs, le silence de la vallée va reprendre ses droits, comme la neige va recouvrir un cadavre.


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