Aspirée par l’obscurité et écrasée par les cimes souveraines
des Rocheuses, Natalie, une jeune Arapaho court sur l’étendue enneigée d’une
vallée, quelque part dans la réserve amérindienne de Wind River au Wyoming. Un
plan de solitude et de mort dans un espace magnifié. Un souffle d’air glacé
traverse la séquence d’ouverture de Wind
River (Taylor Sheridan, 2017) pour évoquer une dramaturgie hivernale en
noir et blanc. Pieds nus, pleurant, gémissant, tout en courant à perdre haleine
et transie de froid, ce froid qui mord petit à petit tous ses membres, la jeune
femme semble fuir quelque chose ou quelqu’un. Éclairée par une pleine lune
spectrale, l’ombre de la silhouette de Natalie s’allonge démesurément sur le
manteau neigeux qui recouvre ce territoire immense, hostile et encore sauvage. La
nature n’est ici en rien contemplative, mais elle contribue par son âpreté et
son immobilisme à l’enfermement de l’infortunée amérindienne. Le choix du plan
de grand ensemble permet d’anéantir ce personnage, de le rendre plus fragile. La
distorsion des différentes échelles entre l’infiniment petit et l’infiniment
grand accentue encore la thématique qui organise l’image : le désespoir
d’une jeune femme qui doit lutter tout autant contre un hors-champ dont nous ne
savons rien pour l’instant, que contre une nature démesurée et grandiose mais
particulièrement dangereuse puisqu’infestée de loups et de coyotes, mais aussi
contre un hiver qui oppresse comme dans les mauvais rêves. Mais l’équation
réunissant réserve, tribu amérindienne et États-Unis contribue inévitablement
au surgissement mémoriel de films comme Willie
Boy (Tell them that Willie Boy is here
d’Abraham Polonsky, 1969), Powwow Highway
de Jonathan Wacks (1989), Cœur de
Tonnerre (Thunderheart de Michael
Apted, 1992), Phoenix Arizona (Smoke Signals de Chris Eyre, 1998) ou
encore Frozen River de Courtney Hunt
(2008). Les cinéastes y évoquent les problèmes endémiques auxquels doivent
faire face les différentes tribus : la pauvreté, le racisme, les ravages
liés à la drogue et à l’alcool, mais surtout les disparitions de femmes qui
n’intéressent guère les autorités autres que tribales, et qui sont destinées à
rester impunies. Scénariste de Sicario
(Denis Villeneuve, 2015) et Hell and High
Water (David Mackenzie, 2016), Taylor Sheridan filme la violence
immédiatement perceptible d’un présent qui n’a plus de futur. La neige est
encore blanche mais elle va, dans les secondes qui suivent, se teinter de
rouge. Prise de panique et incapable de raisonner, Natalie ne se rend pas
compte que l’air glacial va provoquer chez elle une hémorragie pulmonaire
fatale. Un instant interrompu par l’irruption des cris et des pleurs, le silence
de la vallée va reprendre ses droits, comme la neige va recouvrir un cadavre.
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