jeudi 7 décembre 2017

L'Indien chez Raoul Walsh




Ces trois photogrammes donnent l’impression de sortir tout droit de l’objectif du célèbre photographe et anthropologue Edward Sheriff Curtis qui mit sur pellicule, entre 1907 et 1930, plus de 50 000 photographies sur les tribus indiennes des États-Unis. Persuadé que celles-ci allaient disparaître, il décida d’établir l’inventaire de ce qu’elles avaient été avant l’arrivée des colons. En fait, ces photogrammes sont extraits de La Piste des géants (The Big Trail) de Raoul Walsh (1930). Ce premier grand western parlant relate l’épopée d’un convoi de pionniers empruntant la piste de l’Oregon à partir du Missouri pour rejoindre la terre promise. Au cours de leur odyssée ils devront affronter de multiples épreuves dont celle, inévitable, de l’attaque des Indiens. Mais contrairement à ses collègues James Cruze (La Caravane vers l’Ouest/The Covered Wagon, 1923) ou Cecil B.DeMille (Une Aventure de Buffalo Bill/The Plainsman, 1936) qui font de l’Indien un mécréant, cruel et sanguinaire, Raoul Walsh donne une véritable dimension humaine à ces Indiens. Tout d’abord, ce ne sont pas des acteurs blancs grimés en Peaux-Rouges, mais d’authentiques Cheyennes recrutés par la maison de production Fox Film Corporation qui figurent ce qui est en train d’être codifié : l’incarnation de la menace d’une Amérique primitive. Les coiffes et les vêtements ne sont visiblement pas des accessoires cinématographiques, les chants scandés et le langage des signes restituent une justesse ethnographique rarement vue à l’écran. La proximité de la date du film (1930) avec la fin de la Conquête de l’Ouest (1890) produit un hors-champ vertigineux qui donne leur valeur à ces photogrammes. Les plus âgés de ces figurants ont connu les ultimes feux de la vie nomade des tribus des Grandes Plaines, de la chasse au bison ou de la Danse du Soleil (interdite à ce moment depuis 1904). Leurs parents ont sans doute participé aux batailles de la Rosebud contre le général Crook (17 juin 1876) et de Little Big Horn contre le lieutenant-colonel Custer (25-26 juin 1876). C’est ce raccourci, entre réalité et fiction, que Walsh réussit à capter de manière saisissante, dans ce noir et blanc apte à rendre les caractéristiques d’un visage. Que pensent-ils de la recréation, forcément factice, forcément tragique, de leur mode de vie d’un autrefois pas si lointain, eux qui viennent tout juste d’obtenir la citoyenneté américaine en 1924 ? Être recruté, exposé quelques minutes par celui qui a spolié sa terre, anéanti un mode de vie, ne revient-il pas à accepter de n’être qu’une abstraction ou une figure de cire comme Sitting Bull a pu l’être pour le Wild West Show de Buffalo Bill en 1885 ? Même si les Cheyennes restent à l’arrière-plan du film, et s’ils n’échappent pas à la représentation caricaturale de l’ennemi, obstacle de la civilisation en marche, la noblesse de leur attitude tranche avec la cinématographie qui précède, et surtout celle qui va suivre au moins jusqu’aux années 50, y compris pour Raoul Walsh, pourtant très grand cinéaste hollywoodien, qui commettra probablement avec les Aventures du Capitaine Wyatt (Distant Drums, 1951), le western le plus raciste de l’histoire du genre.


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