Balloté
par les soubresauts et les tragédies de l’Histoire (la Nuit de Cristal en 1938,
l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes et soviétiques en 1939, puis
celle de l’URSS par le IIIe Reich en 1941), Salomon Perel (Marco Hofschneider),
un jeune juif allemand, se retrouve successivement membre du Komsomol
(organisation de la jeunesse communiste soviétique) en Pologne, soldat dans la Wehrmacht sur le front russe,
puis membre des Jeunesses hitlériennes en Allemagne. Dans Europa, Europa (Hitlerjunge
Salomon, 1990), Agnieszka Holland dynamite au canon lourd et avec un humour
dévastateur la pseudo-science nazie dont les préoccupations étaient plus
idéologiques que scientifiques. Salomon - qui se fait désormais appelé Joseph
Peters – assiste à un cours de science dans un centre de formation desdites
Jeunesses hitlériennes, localisé à Brunswick, en Basse-Saxe. Le professeur
Goethke (Erich Schwarz) se targue de reconnaître un juif à certains traits
distinctifs. Très doctement, il commence sa leçon d’anthropologie et de
raciologie appliquées : « Génétiquement,
un juif est différent de nous, le juif a le front haut et le nez crochu,
l’occiput plat, les oreilles proéminentes et
une démarche de singe (..) il
gesticule des mains, a des manières serviles ». Joignant le geste à la
parole, Goethke imite la démarche d’un primate,
se déplaçant le dos courbé, l’air menaçant, les doigts écartés, fixant
les élèves d’un œil réprobateur. L’abomination de son discours et le ridicule
consommé de sa posture ne choquent manifestement pas ces élèves soumis à un
endoctrinement généralisé depuis de nombreuses années. « La science est objective » poursuit le professeur, sans que
celui-ci ne se rende compte qu’il se trouve face à un juif. Joseph, revêtu
comme tous ses camarades d’un uniforme brun comparable à celui du NSDAP, le
regarde, incrédule mais inquiet, face à ce déferlement de haine normalisée et assumée.
C’est la distance créée entre ce que sait le spectateur et ce qu’ignore le
professeur qui provoque le rire salvateur, celui qui empêche de pleurer, le
seul à même de souligner l’absurdité de ce que raconte cet « expert racial ». Mais
ce rire finit immanquablement par s’étrangler, puisque l’on sait que cette
théorie de la hiérarchie raciale servit à justifier et donc à légitimer les
pires atrocités. Le point de vue d’Agnieszka Holland souligne une volonté incontestable
de tenir en respect la barbarie d’un régime politique et de tous ceux qui le
servirent. Née à Varsovie en 1948, d’une mère catholique et d’un père juif, la
réalisatrice n’a pas connu l’occupation allemande, mais sa mère participa, au
sein de la Résistance polonaise, au soulèvement de Varsovie en 1944. Son film
lui rend hommage.
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