Attica
! Attica ! vocifère Sonny (Al Pacino) à
plusieurs reprises, dans un accès de rage et de bravade, aux
forces de police de New-York menaçant de se saisir de lui (voir le photogramme). Au
cours d’un après-midi écrasé par une chaleur suffocante, Sonny Wortzik, rebelle
avec cause[1]et
panache, mais plus pied nickelé que sosie de Clyde Barrow, vient, avec son
comparse Sal (John Cazale), de tenter de cambrioler une banque dans le quartier
de Brooklyn. Il lui faut absolument de l’argent pour financer l’opération de
changement de sexe de son amant Leon. Le casse tourne très rapidement au fiasco
et la police ne tarde pas, toutes sirènes hurlantes, à encercler la banque. Barricadés
dans celle-ci, Sonny et Sal prennent en otages le directeur et cinq employées. Dans
sa négociation avec la police pour trouver une échappatoire, sous l’œil des
caméras de télévision et d’une foule de badauds maintenue à petite distance, Sonny
se retrouve à plusieurs reprises à l’extérieur du bâtiment, face à un officier
dans des échanges houleux dont l’un culmine à cet instant précis. Alors que les
policiers s’avancent vers lui, l’arme au poing, Sonny arpente le trottoir, de
long en large à grandes enjambées, agitant fébrilement son mouchoir blanc en
guise de drapeau, hésite, puis sous les vivats de la foule, lance de manière
hallucinée ce cri s’apparentant à un appel à la résistance, Attica ! Attica
! À ces mots, la foule rugit d’empathie pour faire de Sonny son héros. Cette tirade, improvisée sur le tournage d’Un
après-midi de chien (Dog Day Afternoon, Sidney Lumet, 1975) par
Pacino[2],
fait référence aux événements tragiques qui se déroulèrent quatre ans plus tôt,
du 9 au 13 septembre 1971, dans la prison d’Attica, à proximité de Buffalo dans
l’État de New-York. Exaspérés par leurs conditions de vie déshumanisantes
alimentées par le racisme et les préjugés des gardiens, et dans le contexte de
la lutte pour les droits civiques, les détenus de la prison d’Attica, Noirs en
grande majorité, se soulevèrent pour prendre le contrôle du centre carcéral, maintenant
en otages 42 gardiens et civils. Bien qu’ayant accepté certaines des doléances
des prisonniers, les autorités donnèrent l’assaut malgré tout pour réduire la
mutinerie. Le bilan sera désastreux : 10 gardiens tués (dont 9 au moment
de l’assaut par les forces de police) ainsi que 29 détenus. Le rappel de cette
tuerie donne immédiatement au braqueur amateur une force d’attraction que la
police peine à contenir. Ce défi lancé aux autorités transfigure momentanément Sonny
en lui permettant de devenir l’exutoire d’une foule prête à se ranger du côté
des rebelles. De petit cambrioleur, il devient, en refusant de se plier aux
règles que la société s’est données, un héros populaire. Plus encore; hurler Attica
est « une manière de rappeler ce massacre d’État, et de dire combien la transgression
active de la Loi s’apparente parfois à une forme de contestation politique de
l’ordre établi »[3].
Perdant magnifique à l’horizon étroit, ancien vétéran du Vietnam déboussolé par
le retour à la vie civile, Sonny est avant tout un homme ordinaire, fatigué et
vulnérable, enfermé dans une solitude aussi implacable que la chaleur qui
écrase New-York, et qui, à l’instar d’un Travis Bickle (Robert De Niro)[4],
finit par atteindre son point de rupture. Pour la première fois de sa vie, il
est certes le centre de toutes les attentions, mais reste ce pantin dérisoire
qui prospère un court instant sur la détestation des brutalités policières. Toutes
les thématiques de la contre-culture chère au Nouvel Hollywood se trouvent
incarnées dans ce personnage: rapport frontal à la violence, anti-héros
charismatique voué à l’écrasement, illusion du rêve américain, malaise
existentiel d’un marginal incapable de maîtriser son destin. Si le réalisme du
film de Sidney Lumet a eu autant de succès en 1975, c’est parce qu’il a tendu
un miroir aux Américains, habitués à regarder en direct les émeutes raciales et
leurs répressions, le nombre quotidien de morts au Vietnam (le film est projeté
en septembre quelques mois après la fin de la guerre) ou la chute d’un
Président (Richard Nixon a démissionné l’année précédente).
[1] À contrario de Jim Stark (James Dean) dans La
Fureur de vivre (Rebel Without a Cause, Nicholas Ray, 1955)
[2] Al Pacino a affirmé dans une interview
qu’un assistant réalisateur lui avait soufflé le mot.
[3] Le cinéma américain des années 70 de Jean-Baptiste Thoret, Cahiers du
cinéma/Essais, 2006, p.243