Le déroulement du hold-up de la bijouterie dans Le Cercle rouge (1970) rend directement
hommage aux films de John Huston, Quand
la ville dort (The Asphalt Jungle,
1950) et de Jules Dassin, Du Rififi chez
les hommes, 1955. Trois malfrats masqués s’introduisent nuitamment dans une
bijouterie de la place Vendôme à Paris, pour en cambrioler le contenu. Dans
cette séquence typiquement melvillienne, austère et épurée, le réalisateur joue
à la fois sur la durée (25 minutes sans dialogues ni musique) et l’espace (un
lieu clos coupé du monde) en créant une tension dramatique qui culmine à cet
instant. Après avoir neutralisé le gardien chargé de la surveillance, les
cambrioleurs masqués se trouvent dans l’entrée de la salle des bijoux. Au bout
d’une ligne de fuite matérialisée par le plancher, une grille, à
l’arrière-plan, protège l’accès à une clé fichée dans le mur. Celle-ci commande
à distance l’ouverture ou la fermeture des vitrines remplies de bijoux, mais
aussi toutes les cellules photoélectriques qui interdisent la circulation dans
la salle d’exposition. Le seul moyen pour y accéder sans déclencher le système
d’alarme est de tirer une balle capable d’enfoncer la clé pour enclencher le
mécanisme d’ouverture des vitrines et couper les signaux détecteurs de
mouvement. C’est pour cela que Corey (Alain Delon), un ancien taulard libéré et
Vogel (Gian Maria Volonte), un truand en cavale, engagent un tireur d’élite, Jansen
(Yves Montand). Celui-ci, contrairement à ses deux comparses, est vêtu d’un
Borsalino et d’un complet-veston noir. Il vient, en grand professionnel, d’installer
un trépied pour y fixer un fusil à lunette afin d’avoir la meilleure stabilité
possible pour accomplir le geste parfait. Dans ce champ-contrechamp à 180 degrés, la
profondeur de champ rend la cible très lointaine et le silence de l’action
vient renforcer l’atmosphère oppressante qui envahit progressivement la scène,
alors qu’au-dehors la ville est endormie. Mais soudain, brisant le hiératisme
de ses collègues et le rituel préparatoire au tir, Jansen s’empare avec une
rapidité fulgurante de son fusil, le détache du trépied, vise et presse sur la
détente pour toucher au millimètre près sa cible, déconnectant ainsi le système
d’alarme. Un instant interloqués, Corey et Vogel ne peuvent que constater la
réussite exceptionnelle de ce tir qui leur permet de faire main basse sur les
bijoux. Ancien flic révoqué noyant sa désespérance dans l’alcool et la solitude,
Jansen vient de réussir un défi, un coup de maître qui le réhabilite, non pas
aux yeux de la société mais à ses propres yeux. D’épave, il est redevenu ce
qu’il était autrefois, un grand policier reconnu pour son habileté à manier les
armes à feu. Cette victoire sur ses démons intérieurs, ce dépassement de soi, lui
permettent de retrouver une dignité qui fait l’essence même des personnages
melvilliens. À l’instar de Gu Minda (Le
Deuxième souffle, 1966), ou de Jeff Costello (Le Samouraï,1967), Jansen, nimbé d’une aura tragique et ambigüe, cherche
à rompre le cercle de l’enfermement et la spirale infernale de son déclassement
pour obéir à un code de l’honneur composé de règles impossibles à
transgresser : la droiture, la fraternité et la responsabilité. C’est
cette morale chevillée au corps qui explique le geste de Jansen, qui, grand
seigneur, refusera sa part du butin puisque l’essentiel a été atteint : retrouver
son humanité.
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