mardi 26 décembre 2017

L'onirisme chez Charles Laughton

1
2
Avec les séquences de la douche ( Psychose/Psycho d’Alfred Hitchcock, 1960) et du discours final du barbier juif (Le Dictateur/The Great Dictator de Charlie Chaplin, 1940),  celle extraite de La Nuit du Chasseur (The Night of the Hunter de Charles Laughton, 1955), est l’une des plus célèbres du cinéma. Le cadavre de Willa Harper (Shelley Winters) se retrouve attaché à une voiture au fond d’une rivière. Elle vient d’être assassinée par son mari, le révérend Harry Powell (Robert Mitchum), faux pasteur mais criminel névrosé, qui maquille son crime en affirmant que sa femme a quitté le domicile conjugal. D’une noirceur totale, l’image irradie néanmoins une poésie qui a fait de Willa une victime expiatoire de l’hypocrisie et du fanatisme puritain que dénonce Charles Laughton. En dépit de la corde qui retient son corps au siège du véhicule, la jeune femme semble flotter dans ce noir et blanc aquatique (photogramme 1). La blancheur immaculée de sa robe est surlignée par les rayons de lumière qui transpercent la rivière, et son visage figé, encadré par la partie supérieure du pare-brise apparaît paradoxalement apaisé, presque somnolant. Seul le mouvement de ses cheveux accompagnant les ondulations des algues environnantes anime le cadre en s’opposant à l’immobilité de la voiture. Ces algues et les branches immergées d’un arbre mort cherchent à gifler ou à griffer la tête de Willa, comme si les éléments naturels étaient dotés d’une vie propre, bien dans l’esprit de ce conte macabre (photogramme 2). Cette esthétique vénéneuse doit beaucoup au directeur de la photographie de Charles Laughton, Stanley Cortez, qui compose des images oniriques, dépouillées de tout artifice, mais dotées d’un étrange pouvoir de séduction donnant au film, outre son caractère symbolique, un style poétique qui le place dans la mouvance gothique anglo-saxonne. Willa incarne, en effet, « une image poétique de la mort, d’un romantisme noir qui réunit l’épouvante et la beauté, la mort violente et la grâce pour en faire l’expession d’une mélancolie infinie» (1). Au fond de l’eau, l’infortunée Willa n’est plus que l’expression de nos terreurs enfantines : une mère tuée par une figure inoubliable du Malin, un ogre dont les actes nous font passer du conscient vers l’inconscient. Aujourd’hui reconnu comme un chef-d’œuvre incontournable, un film culte, La Nuit du Chasseur a été, au moment de sa sortie, un échec commercial et critique (même François Truffaut n’y vit que du feu) qui empêcha Charles Laughton de poursuivre sa carrière de réalisateur. Il fait partie, à l’instar d’un Erich von Stroheim ou d’un Michael Cimino, de ces cinéastes démiurges brisés par une industrie qui ne pardonne pas les échecs financiers. 

(1) Burkhard Rowenkamp, La Nuit du Chasseur dans 100 classiques du 7e art, Volume 1 : 1915-1959, Éditions Jürgen Müller, 2008,p.342


Aucun commentaire:

Publier un commentaire