mardi 14 novembre 2017

L'égalité des droits chez John Ford



Une salle de classe dans la ville de Shinbone quelque part dans l’Ouest. Un avocat, Ransom Stoddard (James Stewart), momentanément transformé en instituteur, s’adresse à des « élèves » de tous les âges et de toutes les origines. De gauche à droite, tenant une ardoise, Pompey, un Afro-Américain (Woody Strode), une immigrée suédoise Nora Ericson (Jeanette Nolan) elle aussi équipée d’une tablette à écrire, deux rangées d’enfants d’origine mexicaine et Hallie (Vera Miles), la fille de Nora à droite de Ransom, puis à l’arrière toute une galerie de personnages WASP (White Anglo-Saxon Protestants), allant du shériff Link Appleyard (Andy Devine) adossé au mur à des hommes et des femmes aux fonctions indéterminées. Dans cette séquence de l’Homme qui tua Liberty Valance (The Man who shot Liberty Valance de John Ford, 1962) et à travers ce microcosme shinbonien, le réalisateur reconstitue le creuset culturel, propre à la société américaine, fruit de la politique d’intégration et d’assimilation pratiquée depuis les origines. Dans cet Ouest encore sauvage où tout se règle encore à coups de poings et de colts, Ransom Stoddard, épris de justice, entend imposer la loi, l’ordre et donc la civilisation qui doivent inévitablement se substituer à la violence et à la sauvagerie. Pour éduquer ses « élèves » et créer une adhésion autour de l’universalisme républicain, Ransom introduit l’analyse de la Déclaration d’indépendance des États-Unis rédigée par Thomas Jefferson en 1776 en leur demandant s’ils connaissent ce texte fondateur. Pompey, hésitant, finit par lever la main et se lève de son banc. John Ford ne nous dit pas grand-chose sur lui. Peut-être est-il un ancien esclave qui a choisi de vivre dans l’Ouest ? Toujours est-il qu’il est au service de Tom Doniphon (John Wayne) qui l’utilise comme homme à tout faire. Debout donc face à Ransom (mais surtout face au spectateur), il ânonne et ne parvient pas à dire les premières phrases du texte de la Déclaration : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux …..» À sa droite, une ombre se découpe sur le mur, sous le portrait d’Abraham Lincoln posé sur une étagère. À ce moment, Pompey et le Président qui a aboli l’esclavage le 1er janvier 1863 ne font plus qu’un. Tout à sa honte de ne pouvoir dire les mots justes, le visage de Pompey se voile d’un embarras et d’une gêne. En bon pédagogue, Ransom le félicite néanmoins tout en surenchérissant sur le fait que nombreuses sont les personnes qui ont oublié ce passage. Ce plan renvoie immédiatement à un autre film de Ford, Le Sergent noir (Sergeant Rutledge, 1960) dans lequel celui-ci a donné à Woody Strode le rôle principal d’un soldat afro-américain accusé à tort d’avoir violé et tué une jeune fille blanche. Mais Ford contextualise aussi l’attitude de Pompey. En 1962, le Mouvement des droits civiques avait déjà, aux États-Unis, entamé la lutte pour obtenir l’égalité des droits politiques. Le film se situe entre le décret du Président Kennedy instaurant l’affirmative action pour lutter contre les discriminations raciales à l’embauche (1961) et la Marche sur Washington, au cours de laquelle Martin Luther King prononça son célèbre discours I have a dream (1963). Humaniste républicain, soucieux de justice et profondément mélancolique, John Ford nous livre son point de vue sur ce que devraient être les États-Unis : une société inclusive et ouverte sur toutes les différences, même s’il sait probablement que les passages de la Déclaration de 1776 concernant l’esclavage ont été finalement supprimés pour ne pas mécontenter les États du Sud, dont l’économie reposait essentiellement sur la main d’œuvre servile.


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