samedi 30 septembre 2017

Le train chez John Sturges


Le générique du film, Un Homme est passé (Bad Day at Black Rock, 1955) s’ouvre sur un train lancé à toute vitesse à travers le désert. À partir de ce symbole de modernité et de technologie, John Sturges emprunte tous les codes du western pour fixer les décors de sa trame narrative qui se déroule au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quelque part en Arizona (le film a été en fait tourné en Californie, à Lone Pine aux pieds des Alabama Hills). Encerclé par le désert qui s’étend à perte de vue et au-delà, écrasé par le soleil brûlant, Black Rock est un bourg assoupi, resté figé dans la réalité immuable de la Conquête de l’Ouest du XIXe siècle. Des hommes autrefois se sont installés ici et ont tenté de créer un îlot civilisationnel en dépit des conditions climatiques et géographiques particulièrement répulsives. Des maisons en bois, dont l’une, un hôtel, apparaît plus imposante que les autres avec sa galerie, s’étirent timidement le long d’une rue principale. Black Rock est avant tout un lieu de solitude humaine, contredit néanmoins par le train et les poteaux télégraphiques qui le relient au monde extérieur. Mais la ligne de fuite soulignée par la voie ferrée semble se fracasser sur cette chaîne de montagne qui brise l’horizon, isolant encore davantage ce bourg figé dans la chaleur sèche du désert. « Rarement la petitesse des hommes face à l’immensité de la nature a été rendue avec tant de force » (1). C’est encore l’isolement et l’espace fruste environnant qui déterminent les mœurs et la culture de ceux qui, de manière volontaire ou contrainte, continuent de vivre ici, alors que les flux migratoires liés à la découverte de l’or ou à la conquête de nouvelles terres ont depuis longtemps cessé. Black Rock, angle mort géographique et humain, est à peine un lieu de passage puisque le train ne s’y est plus arrêté depuis quatre ans. En effet, quel voyageur assez fou ou assez téméraire, serait prêt à choisir cet hôtel pour y passer ne serait-ce qu’une nuit ? Quel employeur serait assez inconscient pour y créer une quelconque activité économique, alors que les habitants se comptent sur les doigts des deux mains ? L’absence d’église vient souligner de manière significative que la civilisation ne fait que balbutier à Black Rock. Le cinémascope donne sa magnificence à ce décor rude et austère qui s’étire à l’infini dans un silence que seuls le roulement et l’aérodynamisme du train viennent troubler.  Sauf que, contre toute attente et à la surprise générale des habitants, ce train va cette fois-ci s’arrêter. L’homme qui en descend va, à tout jamais, changer le cours de l’histoire de ce bourg perdu.

(1) Un siècle de cinéma américain en 100 films, tome 1 : Le règne des studios et l’âge d’or : 1930-1960 de Benoît Gourisse, éditions Lettmotif, 2016, p.432


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