Le générique du film, Un Homme est passé (Bad Day
at Black Rock, 1955) s’ouvre sur un train lancé à toute vitesse à travers
le désert. À partir de ce symbole de modernité et de technologie, John Sturges
emprunte tous les codes du western pour fixer les décors de sa trame narrative
qui se déroule au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quelque part en
Arizona (le film a été en fait tourné en Californie, à Lone Pine aux pieds des
Alabama Hills). Encerclé par le désert qui s’étend à perte de vue et au-delà, écrasé
par le soleil brûlant, Black Rock est un bourg assoupi, resté figé dans la
réalité immuable de la Conquête de l’Ouest du XIXe siècle. Des hommes autrefois
se sont installés ici et ont tenté de créer un îlot civilisationnel en dépit
des conditions climatiques et géographiques particulièrement répulsives. Des
maisons en bois, dont l’une, un hôtel, apparaît plus imposante que les autres
avec sa galerie, s’étirent timidement le long d’une rue principale. Black Rock
est avant tout un lieu de solitude humaine, contredit néanmoins par le train et
les poteaux télégraphiques qui le relient au monde extérieur. Mais la ligne de fuite
soulignée par la voie ferrée semble se fracasser sur cette chaîne de montagne qui
brise l’horizon, isolant encore davantage ce bourg figé dans la chaleur sèche
du désert. « Rarement la petitesse des hommes face à l’immensité de la nature a
été rendue avec tant de force » (1). C’est encore l’isolement et l’espace
fruste environnant qui déterminent les mœurs et la culture de ceux qui, de
manière volontaire ou contrainte, continuent de vivre ici, alors que les flux
migratoires liés à la découverte de l’or ou à la conquête de nouvelles terres
ont depuis longtemps cessé. Black Rock, angle mort géographique et humain, est
à peine un lieu de passage puisque le train ne s’y est plus arrêté depuis
quatre ans. En effet, quel voyageur assez fou ou assez téméraire, serait prêt à
choisir cet hôtel pour y passer ne serait-ce qu’une nuit ? Quel employeur
serait assez inconscient pour y créer une quelconque activité économique, alors
que les habitants se comptent sur les doigts des deux mains ? L’absence
d’église vient souligner de manière significative que la civilisation ne fait
que balbutier à Black Rock. Le cinémascope donne sa magnificence à ce décor
rude et austère qui s’étire à l’infini dans un silence que seuls le roulement
et l’aérodynamisme du train viennent troubler. Sauf que, contre toute attente et à la
surprise générale des habitants, ce train va cette fois-ci s’arrêter. L’homme
qui en descend va, à tout jamais, changer le cours de l’histoire de ce bourg
perdu.
(1) Un siècle de cinéma américain en 100 films,
tome 1 : Le règne des studios et l’âge d’or : 1930-1960 de Benoît
Gourisse, éditions Lettmotif, 2016, p.432