samedi 2 septembre 2017

Le romantisme noir chez Jacques Becker


Dans Casque d’or (1952), Marie (Simone Signoret) et Georges Manda (Serge Reggiani) incarnent deux amants dont la trajectoire amoureuse, innocente et tragique illumine le Paris de la Belle Époque : elle est une prostituée du quartier de Belleville, et lui, un ancien truand voulant fuir son passé et cherchant par tous les moyens à s’acheter une bonne conduite. Au cours d’une déambulation amoureuse dans la capitale, Marie entraîne son amant vers une église dans laquelle est célébré un mariage. Soudain, le temps s’arrête un court instant. Alors que résonne un cantique, la caméra fige le couple dans une émotion partagée. Dans le rôle-titre, Marie n’a jamais aussi bien mérité son surnom de « casque d’or » qu’à ce moment : par l’entrebâillement du portail, la lumière du jour éclaire le haut de sa tête pour former un halo lumineux mettant en évidence le visage radieux de cette femme qui veut vivre son amour en toute liberté, à une époque où les conventions corsètent la vie privée et publique des femmes. Sa chevelure blonde irradie toute la scène d’une lueur incandescente. Le châle qu’elle a rabattu sur sa tête encadre son visage dont les contours dessinent une douceur et un espoir étourdissant, pour un futur forcément radieux. Son sourire esquissé et ses yeux brillants en disent long sur sa rêverie et sa sincérité dans les sentiments qu’elle éprouve pour Manda. Revêtu d’une veste noire, ce dernier, les cheveux courts en opposition à la chevelure abondante que l’on devine chez Marie, un mouchoir de toile noué autour du cou et sa casquette à la main, semble envahi, lui, par une tristesse contrastant radicalement avec le rayonnement de Marie. Une fêlure intérieure se lit sur ce visage dont les yeux aux paupières tombantes et le sourire timide et emprunté révèlent un trouble existentiel, un romantisme noir qui le ramènent sans cesse à son passé tumultueux de voyou. Devenu charpentier, il cherche à se consumer dans cette relation, mais reste vulnérable et soumis à un fatum qui plane sur lui, l’empêchant de goûter pleinement à cet amour. Le caractère prédestiné du personnage, la mort qui rôde comme un prédateur (il a tué au couteau dans un duel nocturne le souteneur de Marie) font peser sur le couple une aura tragique qui renvoie à l’univers des films de Julien Duvivier dans lesquels l’aspiration des protagonistes (acquérir une guinguette au bord de la Seine pour cinq anciens chômeurs ayant gagné à la loterie nationale dans La Belle Équipe, rejoindre Paris pour un malfrat réfugié dans la Casbah d’Alger dans Pépé le Moko, vivre un bonheur intense auprès d’une femme pour le misanthrope Monsieur Hire dans Panique), se heurte systématiquement à l’impossibilité de vivre un rêve inaccessible et à l’incapacité de prévenir l’inéluctable.  


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