Dans Casque
d’or (1952), Marie (Simone Signoret) et Georges Manda (Serge Reggiani)
incarnent deux amants dont la trajectoire amoureuse, innocente et tragique
illumine le Paris de la Belle Époque : elle est une prostituée du quartier
de Belleville, et lui, un ancien truand voulant fuir son passé et cherchant par
tous les moyens à s’acheter une bonne conduite. Au cours d’une déambulation
amoureuse dans la capitale, Marie entraîne son amant vers une église dans laquelle
est célébré un mariage. Soudain, le temps s’arrête un court instant. Alors que
résonne un cantique, la caméra fige le couple dans une émotion partagée. Dans
le rôle-titre, Marie n’a jamais aussi bien mérité son surnom de « casque d’or »
qu’à ce moment : par l’entrebâillement du portail, la lumière du jour
éclaire le haut de sa tête pour former un halo lumineux mettant en évidence le
visage radieux de cette femme qui veut vivre son amour en toute liberté, à une
époque où les conventions corsètent la vie privée et publique des femmes. Sa
chevelure blonde irradie toute la scène d’une lueur incandescente. Le châle
qu’elle a rabattu sur sa tête encadre son visage dont les contours dessinent
une douceur et un espoir étourdissant, pour un futur forcément radieux. Son
sourire esquissé et ses yeux brillants en disent long sur sa rêverie et sa
sincérité dans les sentiments qu’elle éprouve pour Manda. Revêtu d’une veste
noire, ce dernier, les cheveux courts en opposition à la chevelure abondante
que l’on devine chez Marie, un mouchoir de toile noué autour du cou et sa
casquette à la main, semble envahi, lui, par une tristesse contrastant
radicalement avec le rayonnement de Marie. Une fêlure intérieure se lit sur ce
visage dont les yeux aux paupières tombantes et le sourire timide et emprunté
révèlent un trouble existentiel, un romantisme noir qui le ramènent sans cesse
à son passé tumultueux de voyou. Devenu charpentier, il cherche à se consumer
dans cette relation, mais reste vulnérable et soumis à un fatum qui plane sur
lui, l’empêchant de goûter pleinement à cet amour. Le caractère prédestiné du
personnage, la mort qui rôde comme un prédateur (il a tué au couteau dans un duel nocturne
le souteneur de Marie) font peser sur le couple une aura tragique qui renvoie à
l’univers des films de Julien Duvivier dans lesquels l’aspiration des
protagonistes (acquérir une guinguette au bord de la Seine pour cinq anciens
chômeurs ayant gagné à la loterie nationale dans La Belle Équipe, rejoindre Paris pour un malfrat réfugié dans la
Casbah d’Alger dans Pépé le Moko, vivre
un bonheur intense auprès d’une femme pour le misanthrope Monsieur Hire dans Panique), se heurte systématiquement à
l’impossibilité de vivre un rêve
inaccessible et à l’incapacité de prévenir l’inéluctable.
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