L'île des morts d'Arnold Böcklin
L'île des morts de Ridley Scott
Dans Alien :
Covenant (2017), Ridley Scott réactive l’un des marqueurs qui a immortalisé
depuis 1979 toute la saga du xénomorphe venu d’ailleurs : un décor composé
d’espaces hostiles, inhospitaliers, inquiétants et dont la dramaturgie a
participé pleinement aux différentes intrigues développées dans les scénarios
respectifs. Le dernier opus de la série (le sixième en fait si l’on intègre Prometheus (2012) du même Ridley Scott),
fait manifestement directement référence à l’une des versions (il y en a cinq) du
tableau d’Arnold Böcklin, L’île des morts
(1886). Cette peinture du symboliste suisse (1827-1901) représente une île vers
laquelle se dirige, sous un ciel noir et orageux, un frêle esquif conduit par
Caron, le guide des enfers, qui dans la mythologie grecque est chargé de faire
traverser le Styx aux âmes des défunts vers le royaume des morts. Cette île
mystérieuse composée de hautes falaises escarpées surplombant de leur masse le
fleuve et prenant en tenaille des cyprès, forme un ensemble lugubre qui renvoie
directement à la nécropole de la planète inconnue sur laquelle débarquent, à
l’instar de ceux du Nostromo de la version originelle, les astronautes du
vaisseau Covenant. Chez Böcklin, la verticalité des lignes et les pleins que
forment les rochers colossaux sont autant de signes d’une tragédie en cours et d’une
oppression sourde que Ridley Scott reprend à son compte. En effet, l’idée de
perte et de deuil imprègne l’œuvre du peintre helvète comme celle du cinéaste
britannique, puisque le tableau a été réalisé à la demande d’une amie qui
venait de perdre son mari. Ce dernier est représenté debout dans une barque, revêtu
d’un linceul blanc, se dirigeant vers cette île pour un voyage sans retour. Chez
Scott, il ne peut y avoir pour équipage qu’un groupe lentement mais sûrement
décimé par des forces qui le dépassent. Mais dans les deux cas, l’île est
d’abord une masse émergeant d’une obscurité, entourée d’une aura de mort et de
mystère. Dans Alien : Covenant, ce
paysage spectral est avant tout un paradis perdu, totalement vide et isolé du
reste de la galaxie, mais sur lequel règne un dieu androïde, nouveau Mabuse, nouveau
Frankenstein ou nouveau Kurz, fasciné par les mutations et la création des
hallucinants xénomorphes. Ce démiurge renouvelé entend, dans cet espace qui n’a
rien de bucolique, et qui tranche par son naturalisme sur les couloirs habituels
des vaisseaux spatiaux, répondre aux questions que se posaient les symbolistes
européens à la fin du XIXe siècle sur le sens de la vie – et donc de la mort –
et le destin de l’humanité. Figé dans sa majestuosité, ce vaisseau fantôme
minéral dégage une inquiétante et étrange beauté qui n’a aucune vie propre si
ce n’est le mouvement des cyprès balayés par le vent et cette lumière
énigmatique scintillant dans les ténèbres. De Jacques Tourneur (I Walked with a
Zombi/1943) à Ridley Scott en passant par Mark Robson (The Isle of Dead/1945)
ou Norman McLaren (A Little Phantasy on a 19th Century Painting/1946), le
cinéma n’a cessé d’être fasciné par la poésie macabre du tableau d’Arnold
Böcklin.
I Walked with a Zombi (Jacques Tourneur, 1943)
The Isle of Dead (Mark Robson,1945)
A Little Phantasy on a 19th Century Painting (Norman McLaren,1946)
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