Cette apparition fantomatique est le fruit du
cauchemar que fait Charley Waite (Kevin Costner, devant et derrière la caméra)
dans Open Range (2003). Charley est
un cowboy qui sous les ordres de son patron, Boss Spearman (Robert Duvall),
mène un troupeau de chevaux à travers l’immensité des plaines de l’Ouest
américain. Leur itinérance les mène à Harmonville, un bourg contrôlé par un
grand propriétaire, Denton Baxter (Michel Gambon) et un shérif corrompu.
L’affrontement apparaît inévitable entre un potentat refusant qu’un troupeau
autre que le sien ne traverse le territoire qu’il contrôle et un groupe de
cowboys indomptés, refusant toute atteinte à leur liberté. Ce schéma
ultra-classique du genre est toutefois rehaussé par une dimension
fantastique assez rarement exploitée dans un cadre où le réel, fantasmé ou
pas, est le plus souvent de mise. Kevin Costner cadre ici un homme, silencieux
et immobile, dans l’encoignure d’une pièce. Sa silhouette statufiée se confond
avec le noir intense qui enveloppe le salon dans lequel s’est assoupi Charley. Alors
que l’orage gronde à l’extérieur, le reflet bleuâtre d’un éclair se réverbère
sur la tête de ce spectre recouverte d’une étoffe de drap blanc, percée de deux
trous au niveau des yeux. Son immobilité, dans cet espace subitement devenu
irréel, donne au personnage une aura glaciale et cauchemardesque. Cette
atmosphère crépusculaire renvoie directement à Impitoyable (Unforgiven,
1992) de Clint Eastwood. Le passé meurtrier de Will Munny (Clint Eastwood) est
le miroir de celui de Charley Waite. Les deux ont vécu autrefois dans la
violence et maîtrisent mal leurs démons intérieurs qui finissent
immanquablement par les submerger. Esthétiquement et figurativement, et dans
leur volonté de dépouiller l’Ouest de sa légende, Eastwood et Costner filment
un univers sombre dans lequel ces personnages tourmentés donnent de l’Amérique
une image trouble et morbide. Dans un
tel contexte, la violence la plus éruptive le dispute à la démythification des
héros. Mais si cette apparition spectrale matérialise un homme de main du grand
propriétaire que Charley a déjà croisé sur sa route, elle est surtout l’allégorie
d’une lutte permanente entre Charley et ses cauchemars, d’un passé qui le
hante, d’une résurgence de souvenirs qui le renvoient sans cesse à son enfance
et à son premier meurtre, à son intégration dans une unité spéciale, chargée d’exactions
pendant la guerre de Sécession, y compris contre des civils et à se mettre,
après la fin des hostilités entre le Nord et le Sud, au service d’individus
comme Baxter. Le spectre n’est donc que le double de ce que Charley a été
autrefois, un homme qui a tué et qui ne se remet pas de l’avoir fait. Ces fantômes
qui l’obsèdent sont sa damnation qu’il cherche par tous les moyens à
transcender. C’est finalement une femme, Sue Barlow (Annette Bening), qui
parviendra à faire renaître Charley.
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