mardi 19 avril 2016

Le mystère organique chez Ridley Scott


Dans Alien de Ridley Scott (1979), un vaisseau extra-terrestre mystérieux gît, inerte, sur une planète inconnue. À la suite d’un signal non identifié, un remorqueur interstellaire, le Nostromo et son équipage ont été déroutés pour atterrir (?) sur cette planète afin de vérifier l’origine de cet avertissement. Au détour d’une marche à travers un relief chaotique, trois astronautes se trouvent subitement face à cet engin dantesque, organique, muni de grandes pinces et qui semble couché sur le flanc, comme une bête assoupie depuis des temps immémoriaux. La vision est fantomatique. Ce vaisseau aux formes inquiétantes est recouvert d’une brume bleutée qui masque en partie ses exactes proportions. Sur le plan visuel, l’image est particulièrement puissante, d’autant plus qu’elle est à l’écran, fugitive; seuls quelques plans brefs, vus à travers les caméras des astronautes, nous permettent d’appréhender cet astronef figé mais prêt à bondir sur sa proie. C’est le graphiste, sculpteur et plasticien  suisse H.R. Giger qui a conçu et réalisé ce décor torturé fascinant. Le vaisseau repose sur un sol rocailleux, tourmenté et déchiré. La nuit englobe cet espace qui nous est présenté comme particulièrement hostile, répulsif. La tension s’installe à partir de cette vision, de cette esthétique sombre et morbide. Quel est ce vaisseau ? Depuis quand est-il là ? Qui a lancé le fameux signal ? Personne ne le sait à ce stade de l’histoire. Cette conception du mystère renvoie directement à l’univers de H.P. Lovecraft, un écrivain fantastique américain dont les nouvelles (Démons et merveilles, l’Affaire Charles Dexter Ward, Je suis d’ailleurs …) énoncent une menace venue des confins de l’espace ou des abîmes océaniques qui submergera tôt ou tard la civilisation. Le vaisseau inconnu d’Alien peut ainsi s’apparenter à un épigone de Cthulhu, cette créature tentaculaire, « ce chaos de cris inarticulés, cette hideuse contradiction de toutes les lois de la matière et de l’ordre cosmique » (1), tapie quelque part au fond d’une cité cyclopéenne engloutie, R’lyeh. L’esprit lovecraftien traverse tout le film, mais particulièrement ce plan dans lequel les hommes apparaissent soudainement infiniment petits et dépassés par des forces qui vont les submerger pour mieux les anéantir. Une fois dans l’antre de la bête, les astronautes vont rencontrer une réalité aussi étrange que terrifiante qui scellera leur destin.

(1) L’Appel de Cthulhu de H.P. Lovecraft dans Lovecraft, Tome 1 dans la collection Bouquins aux Éditions Robert Laffont (1991)


                                                            Les entrailles de la bête assoupie

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