lundi 11 avril 2016

Le clair-obscur chez Francis Ford Coppola


Surgie des ténèbres, cette apparition fantomatique du colonel Kurtz (Marlon Brando, une fois de plus sublime) dans Apocalypse Now (1979) renvoie à la part d’ombre qui a fini par vampiriser cet ancien colonel des Bérets verts, en rupture de ban par rapport à sa hiérarchie, devenu un tyran sanguinaire quelque part au fin fond de la jungle cambodgienne pendant la guerre du Vietnam. Remarquable officier, Kurtz était promis à une  brillante carrière dans l’armée, mais il a fini par basculer, physiquement et mentalement, dans l’abîme guerrier cauchemardesque créé par l’intervention américaine dans cette partie du Sud-Est asiatique. À la tête d’une tribu indigène, ce seigneur de guerre hors de tout contrôle sauf du sien, vénéré comme un dieu totalitaire, fera régner la terreur sur les populations environnantes. Crâne rasé, morgue aux lèvres, Kurtz, dans un regard caméra toise, hors champ, Willard (Martin Sheen) un autre officier chargé d’assassiner cet illuminé devenu la mauvaise conscience de l’armée américaine. D’inspiration expressionniste, une lumière blafarde éclaire le côté droit de son visage, laissant dans l’ombre, et dans une symétrie presque parfaite, le côté gauche. Ce soldat perdu nous regarde en fait et incarne le point de vue de Francis Ford Coppola sur la place des États-Unis au Vietnam. Alors que le napalm continue de détruire la population, les forêts et les plaines rizicoles du Vietnam, Kurtz apparaît soudain comme la reproduction en miniature de la sauvagerie orchestrée depuis Washington. Il a tout du démiurge jusqu’au-boutiste passé de l’autre côté du miroir. Coppola force le spectateur à regarder le visage de l’abjection, mais cet effet de miroir doit l’amener à se confronter à son double maléfique. La charge politique du propos est d’autant plus forte que la guerre s’est terminée au moment où le film est projeté, quatre ans auparavant. Si l’on excepte les Bérets verts (The Green Berets, 1968), inutile film de propagande  de John Wayne,  seul Michael Cimino avant Coppola, avait affronté de manière directe dans Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, 1978), l’expérience des soldats américains dans le bourbier vietnamien. Apocalypse Now est un film immense.

                                                                        Le colonel Kurtz (Marlon Brando)


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