mardi 26 avril 2016

La télévision au cinéma chez Robert Redford


Dans Quiz Show (1994), Charles Van Doren (Ralph Fiennes) est l’héritier d’une grande famille intellectuelle de la côte Est des États-Unis. Diplômé de Harvard, professeur d’université et écrivain, il se porte volontaire pour participer à un jeu télévisé de questions-réponses, le Twenty-One sur NBC, une grande chaîne de télévision new-yorkaise dans les années 50. Son physique de gendre idéal télégénique, sa culture et son intelligence vont pousser les producteurs du jeu et le directeur de la chaîne à le garder le plus longtemps possible à l’antenne pour optimiser l’indice d’écoute (déjà !) et donc les recettes publicitaires. Cette manipulation bien comprise des deux côtés passe par la décision de donner à Charles les réponses aux questions avant l’émission. Celui-ci accepte la tricherie et le mensonge autant pour obtenir facilement des gains colossaux  que pour accéder à une reconnaissance médiatique foudroyante, lui qui vivait jusque-là dans l’ombre de la notoriété de son père. Charles est  ici enfermé dans une cabine téléphonique, inquiet d’apprendre l’annonce d’une enquête du Congrès sur les jeux télévisés. Il est encore relativement anonyme. Les passants ne se retournent pas sur lui (sauf l’un deux à gauche qui le dévisage); le réglage de la profondeur de champ est ici fondamental; plus celle-ci est courte et plus elle isole Charles. Le premier plan et l’arrière-plan sont donc flous pour mieux soustraire le personnage à la foule environnante. Cet isolement est également matérialisé par la cabine téléphonique qui l’emprisonne par des lignes horizontales et verticales qui sont autant de barrières du piège médiatique dans lequel il s’est jeté en toute conscience. Charles Van Doren est allé trop loin dans la duplicité pour faire marche arrière. Sa concupiscence s’apparente à une fuite en avant que contredit son milieu social et professionnel. Robert Redford nous parle ici du rêve américain mais perverti par le mensonge, de la réussite financière et donc matérielle, de la puissance et de l’hubris, de la reconnaissance sociale. L’instrument pour y parvenir est la télévision et ses dérives ou la cupidité n’a d’égal que l’amoralité. Cet œil qui commence dans les années 50 à envahir les foyers n’a jamais la part belle au cinéma puisqu’il sera toujours considéré comme un concurrent féroce pour le grand écran.  Elia Kazan avait déjà, dans Un Homme dans la foule (A Face in the Crowd/1957), dénoncé de manière encore plus vitriolée que Robert Redford, les turpitudes du monde télévisuel, prêt à tout pour servir d’écrin à la mise en marché de produits commerciaux en tous genres. Mais Network de Sydney Lumet (1976) ou Le Prix du danger réalisé par Yves Boisset (1983) vont encore plus loin et décrivent la tentation totalitaire d’une poignée de décideurs sans scrupules, bien décidés à manipuler les masses. Charles van Doren – qui a véritablement existé - est donc acteur et victime d’un Goliath qui vient à peine de naître.



Aucun commentaire:

Publier un commentaire