vendredi 15 avril 2016

Le monologue chez Martin Scorsese



Ce monologue de Travis Bickle (Robert De Niro, une fois de plus sublime) dans Taxi Driver de Martin Scorsese (1976) est une séquence culte. Travis est un ancien marine, reconverti en chauffeur de taxi à New-York. Confronté à la violence nocturne de la ville, isolé, en proie à une dérive paranoïaque, il décide de s’armer et s’entraîne chez lui. Face à un miroir, revêtu d’une veste militaire, surjouant l’étonnement et l’incrédulité, il se parle à lui-même en lançant ces interjections désormais célèbres; «You talkin’ to me ? You talkin’ to me ? You talkin’ to me ? Then, who the hell else are you talkin’ to ? You talkin’ to me ? Well, I’m the only one here. Who the fuck do you think you’re talkin’ to ?» Ce n’est pas Paul Schrader, le scénariste du film qui a écrit ces phrases, mais bien Robert De Niro, improvisant sur les lieux du tournage. En digne héritier de l’Actor’s studio, cette association new-yorkaise qui a formé tant d’acteurs (Marlon Brando, Jack Nicholson, Nicolas Cage, Dustin Hoffmann …) et d’actrices (Meg Ryan, Julianne Moore, Michelle Pfeiffer …), Robert De Niro fait exister son personnage de manière glaçante, tout en profondeur psychologique  en ce sens qu’elle touche du doigt la folie névrotique qui s’empare progressivement de Travis, tout à son désir de trouver une justification à  son existence désespérément vide.  Travis Bickle est en représentation devant lui-même; il ne regarde pas la caméra – et donc le spectateur - mais un Autre imaginaire qui incarne tous les vices urbains; prostitution, proxénétisme, délinquance, pauvreté, racisme …. Son amour fétichiste des armes à feu et le soin qu’il met à s’entraîner dans un appartement tout aussi délabré que son existence  préfigurent la tuerie finale, véritable rédemption – thème éminemment scorsesien - pour cet insomniaque urbain cauchemardesque. Mais à travers ce questionnement et l’image que lui renvoie le miroir, Travis pointe aussi l’arme sur lui. Cette entreprise d’autodestruction et nihiliste dans le sens nietzschéen du terme (la négation de l’être) est la conséquence de la confusion qui s’empare de lui. Il ne voit plus la différence entre le Bien et le Mal – autre thème cher à Martin Scorsese -, perd progressivement pied tout en intériorisant pour l’instant sa haine des autres. D’une certaine façon, Travis se construit contre le monde qui l’entoure. Ses pulsions meurtrières trouveront leur conclusion dans un hôtel de passe, glauque, sordide, immergé dans la nuit new-yorkaise.




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