Ce
monologue de Travis Bickle (Robert De Niro, une fois de plus sublime) dans Taxi Driver de Martin Scorsese (1976)
est une séquence culte. Travis est un ancien marine, reconverti en chauffeur de
taxi à New-York. Confronté à la violence nocturne de la ville, isolé, en proie
à une dérive paranoïaque, il décide de s’armer et s’entraîne chez lui. Face à
un miroir, revêtu d’une veste militaire, surjouant l’étonnement et
l’incrédulité, il se parle à lui-même en lançant ces interjections désormais
célèbres; «You talkin’ to me ? You talkin’ to me ? You talkin’ to me ? Then, who the
hell else are you talkin’ to ? You talkin’ to me ? Well, I’m the only one here.
Who
the fuck do you think you’re talkin’ to ?» Ce n’est
pas Paul Schrader, le scénariste du film qui a écrit ces phrases, mais bien
Robert De Niro, improvisant sur les lieux du tournage. En digne héritier de
l’Actor’s studio, cette association new-yorkaise qui a formé tant d’acteurs
(Marlon Brando, Jack Nicholson, Nicolas Cage, Dustin Hoffmann …) et d’actrices
(Meg Ryan, Julianne Moore, Michelle Pfeiffer …), Robert De Niro fait exister
son personnage de manière glaçante, tout en profondeur psychologique en ce sens qu’elle touche du doigt la folie névrotique
qui s’empare progressivement de Travis, tout à son désir de trouver une
justification à son existence
désespérément vide. Travis Bickle est en
représentation devant lui-même; il ne regarde pas la caméra – et donc le
spectateur - mais un Autre imaginaire qui incarne tous les vices urbains;
prostitution, proxénétisme, délinquance, pauvreté, racisme …. Son amour
fétichiste des armes à feu et le soin qu’il met à s’entraîner dans un
appartement tout aussi délabré que son existence préfigurent la tuerie finale, véritable
rédemption – thème éminemment scorsesien - pour cet insomniaque urbain cauchemardesque.
Mais à travers ce questionnement et l’image que lui renvoie le miroir, Travis
pointe aussi l’arme sur lui. Cette entreprise d’autodestruction et nihiliste
dans le sens nietzschéen du terme (la négation de l’être) est la conséquence de
la confusion qui s’empare de lui. Il ne voit plus la différence entre le Bien
et le Mal – autre thème cher à Martin Scorsese -, perd progressivement pied
tout en intériorisant pour l’instant sa haine des autres. D’une certaine façon,
Travis se construit contre le monde qui l’entoure. Ses pulsions meurtrières trouveront
leur conclusion dans un hôtel de passe, glauque, sordide, immergé dans la nuit
new-yorkaise.
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