samedi 30 avril 2016

La nature chez John Boorman


Dans Délivrance (1972), John Boorman nous entraîne dans une odyssée qui nous a été présentée en préambule comme bucolique et récréative pour nous plonger progressivement dans un cauchemar aquatique et sylvestre et dans un véritable choc frontal contre l'idéologie écologiste. Quatre citadins décident, le temps d’un week-end, de descendre en canoë une rivière dans les Appalaches avant que celle-ci et ses rives ne soient complétement immergées  par les eaux d’un barrage construit en aval. Mais rien ne se passe comme prévu. Une nature finalement hostile, des rapides rugissants, des chasseurs inquiétants et violents  finissent par décimer le groupe  qui avait lancé à cet espace encore indompté un défi. Suivant très fidèlement la trame du livre de James Dickey (1), John Boorman est l’anti-Henry David Thoreau, ce naturaliste, poète et philosophe américain  (1817-1862) qui prônait de manière romantique le retour à la nature. C’est l’Amérique des premiers pionniers et des premiers explorateurs qui défile au début du film. Les quatre hommes jouent aux trappeurs et aux Indiens. Mais ici, la nature et ses occupants se transforment en piège mortel. Ed Gentry (Jon Voight), à l’instar de ses camarades, est persuadé que des chasseurs les poursuivent depuis qu’ils ont tué l’un deux qui avait violé Bobby (Ned Betty), un autre membre du groupe. Pagayant en toute hâte, ils se retrouvent coincés en contrebas des rapides à la suite d’un coup de feu qu’ils pensent avoir entendu. Ed escalade la falaise, muni de son arc, pour surprendre le ou les chasseurs. Et au petit matin, un homme se présente en effet dans l’arrière-plan du cadre. Il se découpe nettement sur un promontoire et regarde attentivement la rivière, le fusil coincé sous le bras. Ed, faisant littéralement corps avec la paroi rocheuse, ajuste une flèche à son arc. La distance qui sépare le chasseur d’Ed établit alors la tension entre ces deux pôles dramatiques. Un retour aux forces obscures, barbares générées par le sentiment d’urgence vitale envahit alors Ed. Toute notion de civilisation a disparu, la nature, sauvage et inhumaine a repris ses droits et lui impose de tuer pour ne pas être tué. C’est la notion même de l’être civilisé qui est battue en brèche, l’instinct de survie primant sur tout le reste. L’arc matérialisait pour Ed ce retour aux premiers peuples qui occupaient les États-Unis avant la conquête, mais aussi ce défi qu’il s’était lancé à lui-même en acceptant ce périple en canoë. À présent, cette arme n’est plus que le vecteur du réveil de sa propre animalité.


(1)  Délivrance de James Dickey aux Éditions Gallmeister (2013)


Aucun commentaire:

Publier un commentaire