samedi 2 avril 2016

La nuit chez Tod Browning


  
  

En dépit des années, l’épilogue de Freaks (1932) garde toute sa puissance ténébreuse. Ce film oppose, au sein d’un cirque ambulant, Hercule (Henry Victor) dont la fonction est de faire l’étalage de ses muscles en terrassant des taureaux, aux Freaks, ces hommes et ces femmes lourdement handicapés dès la naissance (certains n’ont pas de jambes, pas de bras ou les deux à la fois) et voués à être des objets de foire, exhibés à l’extérieur du chapiteau, au voyeurisme malsain des spectateurs. La force du film vient du fait que ces Freaks jouent leur propre rôle. Ni maquillage, ni trucage. Ils sont la représentation de l’envers de la condition humaine que le public de l’époque n’a pas voulu voir. Mais la «monstruosité» n’est pas là où on l’attend. Hercule (au premier plan, photogrammes de droite) est un géant, une force de la nature mais à l’âme noire et amorale alors que les Freaks, physiquement diminués, témoignent d’une humanité et d’une solidarité exemplaires.  Moqués, humiliés, battus par Hercule, les Freaks tiennent enfin leur vengeance. Le taureau est sur le point d’être terrassé ; il vient de recevoir un coup de couteau dans le flanc et rampe en arrière avec difficulté face à la meute qui sonne l’hallali. Pour la première fois de sa vie, Hercule est à la hauteur des Freaks. La caméra est au ras du sol cadrant successivement le champ et le contrechamp de la séquence. La nuit est profonde, un orage fait rage, ses éclairs zébrant à intervalles irréguliers l’obscurité. Les visages menaçants des Freaks s’opposent à la panique qui déforme le visage d’Hercule qui n’est plus qu’une bête traquée dans cette descente aux enfers. La boue macule les vêtements détrempés et seuls les Freaks semblent évoluer avec facilité dans l’encerclement de leur proie. La catharsis, cette épuration des passions, est à l’œuvre. La séquence est cauchemardesque et plonge les personnages dans la nuit qui engloutira Hercule. Ce film maudit à l’origine est depuis devenu un classique qui marque la mémoire de manière indélébile.




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