vendredi 1 avril 2016

La fin du rêve chez Dennis Hopper


La séquence finale du film de Dennis Hopper, Easy Rider (1969), est un véritable manifeste de la contre-culture étatsunienne foudroyée par la médiocrité de l’Amérique profonde. Deux motards, Wyatt (Peter Fonda) et Billy (Dennis Hopper) voyagent en sens inverse de la conquête de ce territoire par les pionniers; de Los Angeles, les deux hippies californiens, après avoir obtenu une forte somme d’argent en revendant de la drogue, avalent des milliers de kilomètres de bitume, bien calés sur leurs choppers, en direction de la Nouvelle-Orléans. De là, ils poursuivent leur périple vers la Floride mais croiseront en cours de route un camion de deux red necks qui voulant leur faire peur, tirent en fait sur Billy. Celui-ci se retrouve à terre, mortellement blessé, les bras en croix, sa monture d’acier gisant sur le flanc à côté de lui. Wyatt se précipite vers son infortuné compagnon pour le secourir. Le cadre n’est pas une campagne rieuse et bucolique mais un espace gangrené par une population de culs-terreux racistes rejetant en bloc ces marginaux avides d’espace et de liberté. Wyatt et Billy incarnent le rejet de tout ce qui s’apparente à un conformisme social. Leurs cheveux longs, leurs vêtements – la veste à franges de Billy – leur indépendance sont autant de signes insupportables pour les bien-pensants qui refusent les idéaux communautaires et libertaires de la jeunesse flower power des années 60. Le rêve d’une société non violente, tolérante, rejetant le consumérisme ambiant, se fracasse ici sur une route perdue. Wyatt, pourtant, arbore avec fierté les marques de son appartenance au pays de l’Oncle Sam; son casque, le dos de son blouson et le réservoir à essence de sa chopper affichent la bannière étoilée, mais rien n’y fait, il sera à son tour assassiné par les mêmes crétins abyssaux ayant fait marche arrière pour éliminer toutes les traces de leur crime.
Dennis Hopper a saisi avec beaucoup d’acuité la fin du rêve pour toute une génération. En dépit de Woodstock, l’année 69 sonne le glas de toutes les espérances: la guerre du Vietnam se poursuit sous les pluies de napalm en s’étendant au Cambodge, la femme de Roman Polanski, Sharon Tate, est sauvagement assassinée par Charles Manson, un leader illuminé d’une communauté hippie, les Rolling Stones  doivent faire face à un déchaînement de violence au concert d’Altamont (Californie) devant une foule sous acide encadrée par des Hell’s angels menaçants, des militants des Black Panthers sont assassinés par la police de Chicago …… Mais Easy Rider préfigure aussi l’arrivée sur les écrans d’un courant, le Nouvel Hollywood, appelé à régner tout au long des années 70 et dont les caractéristiques sont inspirées de la Nouvelle Vague des années 50; de petits budgets (moins de 400 000 dollars pour Easy Rider), des tournages en extérieurs au détriment des studios, des acteurs peu connus, des thèmes remettant en cause l’ordre social. Le pivot de cette nouvelle esthétique est le réalisateur qui dispose du montage final. Francis Ford Coppola, Arthur Penn, Michael Cimino, John Schlesinger, Hal Ashby ou encore Jerry Schatzberg seront les hérauts de cette remarquable décennie qui prendra fin avec l’échec financier colossal de La Porte du paradis (Heaven’s gate, 1980) de Michael Cimino. Les producteurs et les studios reprendront alors la main.



Peter Fonda et Dennis Hopper




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