vendredi 8 avril 2016

Les regards croisés chez Todd Haynes


Dans Carol de Todd Haynes (2015),Thérèse (Rooney Mara)  et Carol (Cate Blanchett) se rencontrent pour la première fois dans un grand magasin à Manhattan à la veille de Noël. La première est une jeune vendeuse timide et très impressionnée par cette grande dame vêtue d’un manteau de fourrure mais dont le timbre de voix révèle une fêlure intérieure et une fragilité masquées par son statut social. Carol est là pour acheter une poupée à sa fille et son regard croise, entre les nombreux acheteurs qui se pressent autour des rayons, celui de Thérèse. Cet échange visuel croisé  et fugitif va pourtant signifier le début d’une histoire d’amour entre ces deux femmes que tout sépare (l’âge et la condition sociale). L’intensité du regard que chacune porte à l’autre et la beauté intériorisée des sentiments tranchent avec le badinage consumériste auquel se livrent dans un premier temps, Carol et Thérèse. Puis, imperceptiblement, Carol questionne Thérèse sur ses goûts de petite fille, lui montre une photo de sa propre fille, finit par lui commander un train électrique, prétexte tout trouvé pour laisser son adresse sur le bon de commande. Les gants, ostensiblement abandonnés sur le comptoir serviront, après le départ de Carol, de prétexte à Thérèse pour justifier une nouvelle rencontre. Le monde autour d’elles a cessé de tourner; les autres vendeurs et les clients se fondent dans la profondeur de champ, insensibles ou indifférents à cette tranche de vie, à cette étincelle qui marquera définitivement les deux protagonistes. Les yeux des deux femmes soulignent ce que les corps ne peuvent exprimer au grand jour dans cette Amérique du début des années 50, puritaine et maccarthyste. En digne héritier de Douglas Sirk et de ses mélodrames - Tout ce que le ciel permet (All that heaven allows, 1955), Écrit sur du vent, (Written on the wind, 1956) - Todd Haynes filme des personnages qui se veulent libres en dépit des conventions sociales écrasantes et mutilatrices, responsables de leurs pensées, de leurs actions - Carol est en train de divorcer et Thérèse refuse les avances de Richard -, et déterminés à unir leurs trajectoires irréversibles. Dans cet univers bien ordonné du grand magasin, de part et d’autre du comptoir figurant le premier et ultime obstacle séparant pour l’instant Carol et Thérèse, tout est en place pour que les sentiments puissent éclore et finalement exulter. Le hasard (?) de cette rencontre fortuite déclenchera les rebondissements à venir de ce mélodrame qui s’inscrit dans la continuité d’un autre film de Todd Haynes, Loin du paradis/Far from heaven, 2002, dans lequel le réalisateur avait déjà mis en scène l’amour mais cette fois-ci homosexuel.


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