vendredi 13 mai 2016

Être dans de sales draps chez Richard Brooks



Dans Les Professionnels (The Professionals, 1966) de Richard Brooks, Rico Fardan (Lee Marvin) est engagé par un riche propriétaire terrien pour libérer sa femme, kidnappée selon lui par des révolutionnaires mexicains conduits par Jesus Raza (Jack Palance). Rico est secondé dans sa tâche par Bill Dolworth (Burt Lancaster), un dynamiteur hors norme, Hans Ehrengard (Robert Ryan), un amoureux des chevaux et Jacob Sharp (Woody Strode), un expert dans toutes les armes qui lui tombent entre les mains. Le quatuor de mercenaires traverse la frontière pour entrer au Mexique et ne tarde pas à croiser sur son chemin un redoutable trio de bandits mexicains plus affreux l’un que l’autre. La rencontre tourne tout d’abord au désavantage des Américains. Venu en éclaireur, Bill se fait capturer (photogramme du haut) et contemple désormais le monde d’un point de vue manifestement inverse à celui de son vis-à-vis, secoué par une joie sadique qu’il communique à ses deux comparses hors champ. Arrivé quelque temps plus tard, Rico décide de venir à l’aide de l’infortuné Bill et plonge dans l’arène. Dans le photogramme du bas, la nasse se referme sur Rico. Les trois bandits et la paroi rocheuse derrière lui bloquent toutes les issues et réduisent ses marges de manœuvre en créant un enfermement qui, en toute logique, ne peut lui être que fatal. Pourtant, sa détermination, son bras droit tendu, sa main tenant fermement un revolver dirigé tout droit vers la tête du chef de la bande disent exactement l’inverse; ceux qui sont dans de sales draps ne sont pas ceux auxquels on pense. En effet, Bill et Rico savent, à l’instar du spectateur, que Hans et Jacob sont placés quelques mètres au-dessus de leurs têtes, prêts à intervenir. Les trois bandits n’ont plus que quelques secondes à vivre. La figure du Mexicain dans le western est rarement positive. Ces trois-là ne dérogent pas à la règle : sales, fourbes, mâchoires plus ou moins édentées, alcooliques, une machette toujours à portée de main, assassins sans scrupules aux rires gras et tonitruants, ils hantent de leur présence odorante le western américain comme dans Butch Cassidy et le Kid de George Roy Hill (1969) ou encore Chisum d’Andrew McLaglen (1970). S’il n’est pas bandit, le Mexicain est un hôtelier geignard (Rio Bravo d’Howard Hawks /1959), un paysan sans défense (Les Sept Mercenaires de John Sturges, 1960), ou encore un dictateur (La Horde sauvage de Sam Peckinpah, 1969). Quelques arbres viennent cacher la forêt pour évoquer des personnages plus complexes que d’habitude : dans Les Bravados de Henry King (1958), le bandit mexicain Lujan se transforme en un paysan pauvre attaché à sa famille et dans Rio Conchos de Gordon Douglas (1964), le personnage de Juan, haut en couleur, intelligent, persifleur, va à l’encontre de la caricature assumée par de trop nombreux metteurs en scène. La frontière du Rio Grande a longtemps été la limite méridionale de l’expansion américaine. Une fois la conquête de cet espace achevée et avec les incursions répétées des Américains au Mexique, qu’ils soient bandits, soldats ou civils, l’impérialisme américain s’exprime désormais de l’autre côté du Rio Grande (c’est précisément le point de vue critique adopté par Richard Brooks) qui n’est rien d’autre pour ces films des années 60 et 70 qu’une métaphore de l’intervention américaine au Vietnam.



                                          Woody Strode, Lee Marvin, Robert Ryan et Burt Lancaster

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