lundi 22 février 2016

Le maccarthysme chez Jay Roach



Dalton Trumbo (1905-1976) est un romancier et un des plus grands scénaristes américains de l’histoire du cinéma. Son nom reste  attaché à des films comme Road Gang de Louis King (1936) Trente secondes sur Tokyo (Thirty Seconds over Tokyo de Mervyn Leroy, 1944), Le Démon des armes (Gun Crazy de Joseph H.Lewis, 1950). Sa vie bascule en 1946-1947 lorsque, dans l’atmosphère de la Guerre froide naissante, Dalton Trumbo est convoqué ainsi que 9 autres scénaristes et réalisateurs (Les Dix d’Hollywood) devant la Huac, une commission sur les activités antiaméricaines, présidée par James Parnell Thomas et chargée d’extirper tout ce qui, de près ou de loin pouvait s’apparenter au communisme dans l’industrie cinématographique américaine. Libéral (au sens américain du terme), pacifiste, proche des idées communistes (il a été membre du PC américain de 1943 à 1948), pourfendant dans ses scénarios les injustices et les inégalités sociales, Dalton Trumbo était donc la victime toute désignée. Il refusa de répondre à la question posée par la Commission, « Êtes-vous ou avez-vous été membre du parti communiste américain».  Il fut en conséquence, condamné en 1950 à 11 mois de pénitencier pour outrage. L’hystérie collective anti-rouge battait alors son plein et le sénateur républicain McCarthy allait dès 1950 lancer une chasse aux sorcières dans de nombreux secteurs de la vie politique, sociale et culturelle. Mais le calvaire de Dalton Trumbo ne s’arrêta pas là. En 1947, les grands dirigeants hollywoodiens s’étaient réunis à l’hôtel Waldorf-Astoria à New-York pour adopter une position commune à l’encontre des Dix. La liste noire était née. La RKO licencia Trumbo, et la MGM suspendit son contrat. Il lui était donc désormais impossible, à sa sortie de prison, de travailler sous son vrai nom. Il utilisa alors des prête-noms pour pouvoir continuer à écrire – avec des salaires bien en-dessous de ce qu’il gagnait dans les années 40 - , et réussit même à gagner – ironie suprême – deux oscars avec Vacances Romaines (Roman Holiday,  William Wyler, 1953) et Les Clameurs se sont tues (The Brave One,  Irving Rapper, 1956). Il fut évidemment dans l’impossibilité de recevoir ces prix. C’est Otto Preminger qui fut le premier, en 1960, à oser défier l’establishment en indiquant clairement le nom de Trumbo dans le générique d’Exodus, puis dans la foulée, Kirk Douglas fit de même avec son Spartacus. Mais Dalton Trumbo ne sera véritablement et définitivement réhabilité qu’en 1975, soit un an avant sa mort.

Jay Roach (Trumbo, 2015) raconte tout cela dans ce film biographique. Prenant les événements dans leur chronologie, contextualisant les convulsions et les turpitudes mais aussi les grandeurs du monde hollywoodien sur une trentaine d’années, le réalisateur n’hésite pas à retourner le couteau dans la plaie avec d’autant plus de courage que les films attaquant frontalement le maccarthysme ne sont pas légion: Nos plus belles années (The Way We Were, Sydney Pollack, 1973) Le Prête-nom (The Front, Martin Ritt, 1976), La Liste Noire (Guilty by Suspicion, Irwin Winkler, 1990), Good Night and Good Luck (George Clooney, 2005). Il faut admettre par contre que les films évoquant cette sombre période, mais de manière allusive (toujours la sédimentation !) sont beaucoup plus nombreux; citons On murmure dans la ville (People Will Talk, Joseph L. Mankiewicz, 1951),  Le Train sifflera trois fois (High Noon, Fred Zinnemann, 1952) ou encore Johnny Guitar, Nicholas Ray en 1954). Deux séquences sont particulièrement succulentes dans le film; la rencontre entre Dalton Trumbo (Bryan Cranston), le héraut de la gauche américaine et John Wayne (David James Elliott), le Républicain anti-communiste (tiens, voilà que je fais des pléonasmes !) et celle au cours de laquelle le scénariste croise James Parnell Thomas (James DuMont), son accusateur de la Huac ….. en prison. Ce dernier avait été condamné à 9 mois de pénitencier pour corruption. Regrettons tout de même qu’aucune mention ne soit faite du seul film que Dalton Trumbo réalisa en 1971; Johnny s’en va-t-en guerre (Johnny Got His Gun) qui a obtenu la même année, le Grand prix du Jury au festival de Cannes.  Voici à mes yeux le plus grand film pacifiste et anti-guerre du cinéma (pas moins !).

                   
                              Le vrai Dalton Trumbo face à ses accusateurs de la HUAC en 1947


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