jeudi 13 mai 2021

L'escalier en colimaçon chez Robert Wise

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L'ancienne dame de compagnie (Rosemary Dorken, non créditée au générique) de la propriétaire de Hill House, un manoir construit il y a près d'un siècle en Nouvelle Angleterre est en train de gravir, lentement mais inexorablement, comme mue par une tension intérieure, les marches d'un escalier en colimaçon. Filmée de manière vertigineuse en plongée, cette architecture hélicoïdale déploie ses circonvolutions en aspirant cette femme aimantée par un sommet que nous distinguons à peine (photogramme 1). Elle tient dans sa main gauche un plateau dans lequel est enroulée une corde qui redouble les courbes de l'escalier tout en ne trompant personne sur ses intentions suicidaires (photogramme 2). Soupçonnée d'avoir fait assassiner sa bienfaitrice, elle hérita néanmoins de Hill House pour y vivre dans la plus grande des solitudes pendant de nombreuses années. Depuis sa fondation, de nombreux décès inexpliqués firent de ce château un espace d'une tragique étrangeté, porteur d'une malédiction qui frappait invariablement tous les propriétaires du lieu. La Maison du diable (The Haunting, Robert Wise, 1963) est aux antipodes du titre français qui laisse penser que le film est une histoire satanique dans la continuité de Rendez-vous avec la peur (Curse of the demon, Jacques Tourneur, 1957) ou que sa localisation géographique – la Nouvelle-Angleterre donc – ne renvoie aux sorcières de Salem, accusées en 1692 de complicité avec le diable. Prenant le contrepied de cette facilité scénaristique, Robert Wise choisit au contraire de décrire, non pas une maison hantée par un quelconque démon ou par des forces surnaturelles, mais des personnages perturbés par ces immenses couloirs labyrinthiques, ces hauteurs démesurées de salles aussi vides que silencieuses (photogramme 1) ces miroirs monumentaux, transformant Hill House en tombeau dont l'emprise finit par altérer les sens de ses propriétaires successifs. En ce sens, la hauteur, la courbe de l'escalier et l'étroitesse de ses marches en métal sont aussi la manifestation où le prolongement des angoisses, des peurs et des refoulés de cette femme au bord de la folie. Nous l'imaginons probablement submergée par la culpabilité d'avoir abandonné l'ancienne propriétaire Abigaïl pour folâtrer avec son amant sur un balcon alors que la vieille dame réclamait son aide. Gagnée par une paranoïa dévorante, l'ancienne dame de compagnie est piégée dans les méandres de sa névrose, ses yeux hallucinés regardant un hors-champ que l'on devine mortifère. Son état mental a basculé dans un ailleurs, vers des replis de l'esprit, des territoires connus d'elle seule. Une voix-off, froide et distanciée relate son ascension vers une plate-forme qui couronne l'escalier, là où les dernières marches commencent à s'élargir. Renforçant l'ambiance glaçante de la séquence, le narrateur se tait au moment où la femme sort du champ. Il n'y a plus que le vide qui s'ouvre devant nous, un précipice associé aux ténèbres et à la terreur d'une nuit qui n'en finit pas ……





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