Curieusement, le Spider Rock (à droite sur les deux
photogrammes), formation rocheuse de 240 mètres de haut, en plein canyon de
Chelly dans la réserve navajo (Arizona) n'a été utilisé qu'une seule fois comme
décor de western. Découpée en deux aiguilles acérées aussi majestueuses qu'orgueilleuses
et hors de toute échelle humaine, la roche ocre de cette sentinelle géologique
se dressant au milieu d'une agora désertique et flanquée de mesas aux versants
abrupts, est pourtant particulièrement cinégénique. À la confluence d'un dédale
de gorges parcourues par des arroyos[1],
c'est ici que, selon la mythologie navajo, Spiderwoman, la déesse
protectrice des êtres humains, est sortie de terre pour enseigner à son peuple
l'art du tissage. Il aura fallu attendre L'Or de MacKenna (MacKenna's
Gold, Jack Lee Thompson, 1969) pour enfin découvrir sur un écran cette
architecture grandiose, cette masse rocheuse en équilibre, porteuse d'un
mysticisme envoûtant et d'un pouvoir surnaturel. Dans le photogramme 1, motivés
par une légende apache et une carte préalablement détruite, mais dont le
contenu est connu du seul shérif McKenna (Gregory Peck), six cavaliers se sont
arrêtés au pied du Spider Rock, baptisé Shaking Rock pour les besoins du film. Ils
sont à la recherche d'un gigantesque gisement aurifère caché dans une gorge
surnommée le Canon del Oro et jalousement gardé par les Apaches qui hantent ces
montagnes. Comme autrefois Francisco Vasquez de Coronado qui en 1540 se lança
dans ces mêmes contrées à la recherche des sept cités d'or de Cibola, ils sont
aimantés par la même obsession de ce métal jaune qui ne peut trouver sa
résolution que dans le mystère de ces parois rocailleuses mêlant si
harmonieusement le sable et la pierre. Sublimée par le talent du directeur de
la photographie du film Joseph MacDonald, la scène, d'une magnifique ampleur,
revêt un caractère fantasmagorique puisque ces cavaliers attendent le lever du soleil
dont l'ombre projetée par le rocher doit indiquer la présence d'une faille dans
la mesa située en face, comme une porte permettant ainsi aux chercheurs d'or de
s'engouffrer dans cette muraille et accéder au canyon tant convoité. Dans le
photogramme 2, la caméra, adoptant le point de vue d'un vautour, seul capable
de prendre la mesure de cet espace, filme l'ombre du Shaking Rock s'avancer
inexorablement suivant la course du soleil dont les rayons ne tardent pas à
embraser petit à petit tout le paysage alentour. Cette lutte entre l'ombre et
la lumière, entre ciel et terre et au milieu de ces forces telluriques, ramène
les cavaliers à l'infiniment petit, à leur vanité, incapables de prendre la
mesure de cette nature qui les dépasse et les fragilise. Le sacré est profané
par leur cupidité et le Shaking Rock devient l'image de leur destin en tant que
vecteur d'une tragédie à venir.
Probablement phagocyté par la toute proche Monument
Valley qui a pris toute la lumière en devenant l'archétype même du décor westernien,
le canyon de Chelly est resté dans l'ombre de cet espace que vénérait tant John
Ford. Mieux qu'au cinéma, Edward S. Curtis pour la photographie et Tony
Hillerman pour la littérature surent lui rendre l'hommage qu'il méritait.
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