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Grâce au montage alterné et à deux raccords aussi
subtils qu'inattendus, Kevin Costner réussit à suggérer la continuité
temporelle en nous transportant, en temps réel, dans trois espaces différents.
Dans Danse avec les loups (Dances with Wolves, Kevin Costner,
1990), le lieutenant Dunbar est arrivé dans les ruines du Fort Sedgewick,
abandonné depuis peu par la précédente garnison. Réorganisant les lieux pour
rendre cet avant-poste de l'armée américaine viable, il assainit la rivière qui
flanque le fort en sortant de son cours des cadavres d'animaux qu'il brûle sur
un bûcher improvisé (photogramme 1). Les flammes et la fumée qui s'en dégagent
forment très rapidement de longues et larges spirales noires montant vers le
ciel, des spirales si amples qu'elles signalent inévitablement sa présence à
des kilomètres à la ronde. De manière logique et attendue, le premier raccord
permet de cadrer un groupe de Pawnees dont le chef (Wes Studi, à droite du
photogramme 2) manifeste de manière évidente des intentions belliqueuses à
l'encontre de celui qui est à l'origine du feu dont la fumée est perceptible,
au centre de l'image, très loin dans ces interminables étendues herbeuses dont
aucun obstacle n'arrête le regard. « Il n'y a qu'un Blanc pour faire un feu visible
de tous » dit-il d'un ton méprisant. Il porte tous les attributs du
guerrier indomptable: arc et carquois en bandoulière, casse-tête dans la main
droite, peintures de guerre sur le visage et le corps, grand collier constitué
de griffes animales, et coiffe en forme de crinière posée sur un crâne
quasi-chauve. Bien décidé à en découdre pour obtenir son tribut de sang et de
scalps, il décide d'aller droit vers ces volutes de fumée. Contre toute
attente, le deuxième raccord nous dévoile, non pas le feu déclenché par le
lieutenant Dunbar, mais un gros plan sur celui de Timmons (Robert Pastorelli),
le muletier qui avait escorté Dunbar jusqu'à Fort Sedgewick (photogramme 3). Tout
indique la pause que s'accorde Timmons sur le chemin du retour: une cafetière
qu'on suppose brûlante et une poêle à frire constituent les maigres ustensiles
de cuisine dont dispose le muletier au milieu d'un bivouac sommairement dressé.
Inconscient du danger qui rôde, il prépare tranquillement son repas, plus soucieux
de se sustenter que d'assurer ses arrières. Ces deux raccords reposent sur le
regard des protagonistes (Dunbar, le Pawnee et Timmons) aimanté par une fumée
qui agit comme un leitmotiv et une source de suspense donnant son unité à la
narration. Mais cette séquence donne aussi un certain nombre de clés: Dunbar
élimine les cadavres d'animaux qui souillent une rivière pour redonner à cet
espace sa pureté originelle, préalable à sa propre régénérescence; les Pawnees font
corps avec cette vastitude et se déplacent librement sous des ciels immenses pour mener des
expéditions guerrières à l'instar des Sioux que Dunbar va rencontrer; Timmons
enfin, présenté comme une personne grossière et inculte, utilise ce lieu comme
un vaste dépotoir – ne jette-t-il pas ses déchets sur sa route ? - et ne peut donc que disparaître avant que
d'autres intrus, plus menaçants et nettement plus nombreux ne viennent souiller
cette nature altière.
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