Requiem pour un massacre (Va et
regarde en russe, Elem Klimov, 1985) est une immersion cauchemardesque dans
les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et les atrocités commises par les
Allemands sur le front russe et plus exactement sur le front biélorusse en
1943. Vue à travers les yeux de Fiora (Aleksei Kravchenko), un adolescent ayant
rejoint les rangs des partisans, la guerre apparaît dans toute sa laideur, sa
déshumanisation et son cortège de visions traumatisantes. Sur les traces du
cinéma d’Andreï Tarkovski - la contemplation en moins - qui savait si bien
plonger le monde de l’enfance dans la tourmente de la guerre (L’Enfance
d’Ivan, 1962 ou Le Miroir, 1975), Klimov nous livre un réquisitoire
radical contre la barbarie nazie. Né en 1933 à Stalingrad, il a neuf ans
lorsque commence la célèbre bataille sur la Volga. Manifestement marqué au fer
rouge par la brutalisation de la soldatesque allemande, la plaie continue
encore de puruler quarante-trois ans plus tard.
Les quatre photogrammes sont situés à
la fin du film. Ayant miraculeusement échappé à la destruction d’un village et
de toute sa population brûlée vive dans une grange, Fiora se retrouve à nouveau
au milieu des partisans qui ont capturé une poignée de soldats allemands et de
collaborateurs biélorusses ayant participé au massacre des villageois. Dans ce
lieu désolé et noyé dans le brouillard, il se tient devant une flaque de boue
dans laquelle baigne un portrait d'Hitler. Filmé en plongée, il lève alors son
fusil pour tirer sur le tableau. Puis dans un contrechamp brutal,
la contreplongée dévoile dans un regard caméra saisissant, son visage
prématurément vieilli, usé par les épreuves qu’il vient de traverser, dévasté
par l’empreinte de la mort qui plane sur lui, figé dans une épouvante glacée.
Ses traits ne présentent plus la page vierge de l’adolescence, mais la
souffrance de celui qui a été plongé dans l’enfer. Le premier coup de feu
déclenche le défilement d’images d’archives montées à rebours et en accéléré,
montrant dans un ordre chronologique inversé la dernière image d’Hitler sorti
du bunker à Berlin pour féliciter des jeunes du Volksturm, des flammes dévorant
des façades d’immeubles, Hitler encore recevant des bouquets de fleurs de
petites filles, la Wehrmacht à l’assaut d’un village, des Allemandes hilares,
le bras levé, tendu pour le salut nazi, des cadavres et encore des
cadavres, des processions d’uniformes noirs, les signatures des accords de
Munich, des inscriptions antisémites sur les vitres de magasins et toujours
cette liesse populaire d’Allemands en extase devant leur maître. Chaque coup de
feu tiré par Fiora relance cette marche à contresens de l’Histoire pour
s’arrêter brutalement sur une photo du futur chancelier, enfant, dans les bras
de sa mère, comme pour tenter de revenir aux origines du mal, pour comprendre
ce qui a pu dévorer cet enfant devenu adulte, pour appréhender ce qui a pu
amener un homme et toute une population à commettre l’innommable, l’indicible.
Mais plus sûrement, et selon les dires de Klimov, Fiora tire sur Hitler, mais à
travers lui, surtout sur le spectateur (Le premier titre du film devait
s’intituler Tuez Hitler) pour tuer la bête qui sommeille en chacun de nous.
Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde[1] ….…….
Tétanisé par ce premier plan, nous
voyons à peine, à l'arrière-plan, une silhouette figée devant les corps des
soldats allemands exécutés quelques instants plus tôt (photogramme 1). Bien
découpée entre deux rangées de piliers du pont qui surplombe une rivière, elle
semble contempler les cadavres pour se convaincre que le nazisme peut être
vaincu. Le réalisme quasi-documentaire du film tient beaucoup au grain de
l’image utilisé par Klimov, sale, granuleux, qui s’accorde parfaitement aux
paysages boueux de la plaine biélorusse. Requiem pour un massacre est un
film dont on ne sort pas indemne…
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