Punishment
Park (Peter Watkins, 1971) tient tout autant de l'uchronie que de la
dystopie. En pleine Guerre froide, et en dépit du veto de Harry Truman, la loi
McCarran sur la sécurité intérieure est votée en 1950 par le Congrès des
États-Unis. Le Président des États-Unis peut, sans l'accord du Congrès, décider
en cas d'insurrection, de déclarer l'état d'urgence. Il peut alors arrêter et
détenir toute personne censée être susceptible de commettre des actes de
sabotage. Les personnes appréhendées seront interrogées sans remise en liberté
sous caution et besoin de preuves pour être ensuite incarcérées dans des lieux
de détention. Cette loi, jamais abolie, sert de prétexte au réalisateur
britannique Peter Watkins pour plonger le spectateur dans un cauchemar lié à la
situation politique et sociale du début des années 70. Faisant tour à tour
allusion au procès des sept de Chicago (1969)[1],
aux brutalités policières qui touchent les campus universitaires et à une
polarisation extrême de la population liée à la guerre du Vietnam, le film est
construit en montage alterné, montrant tour à tour sous une tente des jeunes,
menottés, questionnés et condamnés devant un tribunal improvisé, puis un autre
groupe marchant en plein désert. En réalité, les condamnés ont le choix entre
accepter de purger leurs peines dans un pénitencier ou d'être envoyés dans le
Punishment Park dont le « jeu » consiste, pour retrouver ses droits civiques,
de gagner sa liberté en réussissant à traverser un espace désertique de 85 kms
en moins de trois jours, sans eau ni nourriture, pour atteindre un drapeau
américain. Filmés par une équipe de la BBC et poursuivis par la police, ces
détenus tentent le tout pour le tout. Sauf que le « jeu » est faussé, puisque
les mêmes policiers ont l'ordre d'abattre toutes celles et tous ceux qui auraient
touché au but. Comme celui qui vient de se mettre à genoux, recroquevillé sur
lui-même, attendant le coup de feu fatal du policier qui le met en joue
(photogramme 1). Le contenu de l'image est extrêmement violent: dans la
fournaise du désert, un État policier devenu paranoïaque tourne son agressivité
contre une jeunesse révoltée. Le lien entre ce détenu prostré, épuisé, brisé,
mais qui ne veut pas mourir et le policier avec son casque, ses lunettes
noires, ses mains gantées, son fusil à pompe, traduit un rapport de force
politique implacable entre deux sociétés irréconciliables: l'une est convaincue
que le pacifisme et la liberté ne peuvent être possibles qu'en luttant contre
le bellicisme et le conservatisme de l'autre. Cette image renvoie bien entendu immédiatement
aux événements du 4 mai 1970 qui se sont déroulés sur le campus de l'Université
d'État de Kent (Ohio). Au
cours d'une manifestation contre la guerre du Vietnam et la décision de Richard
Nixon de bombarder le Cambodge, les manifestants se retrouvent sous le feu de
la Garde nationale. Bilan: quatre morts et soixante-sept blessés (photogrammes
2 et 3).
Alors que le film de Peter Watkins était sorti dans
le contexte de la guerre du Vietnam et des soubresauts de la société
américaine, l'actualité de la fin de l'année 2020 lui a redonné subitement un
éclat inquiétant. Dans le contexte des États-Unis de Donald Trump et des
discussions sur l'éventualité de proclamer la loi martiale pour renverser les
résultats des élections présidentielles en confiant l'exécutif et le judiciaire
à l'armée, le totalitarisme évoqué par Peter Watkins réactive douloureusement
cette idée que nous avons tendance à oublier: la démocratie est mortelle.
[1]
Sept organisateurs de la
manifestation anti-guerre de Chicago lors de la Convention démocrate de 1968
sont poursuivis en mars 1969 par le gouvernement fédéral pour conspiration et
incitation à la révolte.
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