«The Fog (John Carpenter, 1980)
raconte la vengeance d’outre-tombe du capitaine Blake dont le navire,
l’Elizabeth Dane, a été sciemment orienté vers des récifs afin d’y être coulé
puis pillé. Le trésor ainsi dérobé est alors utilisé pour construire la ville
fictive, d’Antonio Bay à quelques encablures du lieu du drame [1]». Un siècle
plus tard, surgissant des ténèbres de l’océan et précédé par un épais
brouillard annonciateur d’une sourde menace, un vaisseau fantôme aux voiles
déchiquetées, se dirige vers cette petite ville côtière. À son bord, les
fantômes de ceux qui ont été autrefois dupés et assassinés sont de retour sur
les lieux du crime originel, pour demander des comptes aux descendants des
pères fondateurs d’Antonio Bay et en particulier à six d’entre-eux dont le père
Robert Malone, petit-fils d’un des naufrageurs. Cette bourgade, née en 1880 sur
la spoliation, le mensonge et la violence, s’apprête, dans l’amnésie la plus
totale des événements du passé, à fêter le centenaire de sa fondation. Répandant
la mort sur leur passage, Blake et ses spectres se retrouvent dans l’église du
père Malone, celle précisément qui a été construite avec l’argent volé.
Enveloppés par une brume très dense et rampante qui s’insinue partout entre
terre et eau, les cinq naufragés visibles sur le
photogramme surgissent de l’obscurité, figés dans un silence lourd au goût
d’éternité. Leurs visages restent dans l’ombre et seuls les yeux injectés de
braise du capitaine Blake luisent dans la nuit. Celui-ci, avec ses bras pendant
le long du corps, ses vêtements en haillons et son sabre pendu à son flanc, se
tient prêt à libérer toute sa fureur. Démon à l’aura maléfique exhalant une
odeur putride, il est devenu ce loup humain des océans à la tête d’un maelström
de terreur vertigineuse. Estompant la frontière entre le réel et l’imaginaire,
la brume est un seuil qui a permis à ces âmes réprouvées, condamnées à errer
depuis les abysses sous-marins et n’ayant pas eu les mêmes opportunités que
l’équipage du Mayflower, de devenir la mauvaise conscience de la communauté
d’Antonio Bay.
Très influencé par les écrits de H.P.
Lovecraft et ceux de W.H. Hodgson, John Carpenter dessine pourtant tout à fait
autre chose qu’une simple architecture de la peur. Le sous-texte de The Fog
fait un parallèle entre la fondation d’Antonio Bay et la naissance des
États-Unis. Cette allégorie politique à peine voilée renvoie au reniement des
traités signés avec les tribus indiennes, au vol de leurs terres, au massacre
des premiers habitants du continent et à l’esclavage - cet autre crime originel
- qui permit le développement économique d’une partie du pays. La
commémoration du centenaire de la ville se présente alors comme une
interprétation mythifiée d’une origine et d’une histoire que l’arrivée des
revenants de l’Elizabeth Dane remet en question dans le sang. À l’instar des
Indiens et des esclaves noirs enfouis dans le paysage mental des États-Unis, le
capitaine Blake et ses hommes restaient tapis dans ces souterrains de la
mémoire d’Antonio Bay, n’attendant qu’un prétexte pour surgir de l’oubli.
[1]
L’oeuvre
de John Carpenter. Les masques du maître de l’horreur de Stéphane
Boulay, Third Éditions, 2019, p.149
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