vendredi 21 mai 2021

Les graminées chez Kevin Costner


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Ces deux plans de Danse avec les loups (Dances with Wolves, Kevin Costner, 1990) illustrent, non seulement l'étroite relation que le lieutenant Dunbar (Kevin Costner) et Kicking Bird (Graham Greene), un homme-médecine Sioux Lakota, entretiennent avec leur environnement, mais aussi leur profonde complicité future, prélude d'une amitié fraternelle que n'entameront ni les différences culturelles, ni les vicissitudes du temps. En 1863, laissant derrière lui la fureur et la brutalité de la guerre de Sécession, le lieutenant Dunbar est en route vers Fort Sedgewick, sa nouvelle affectation perdue au milieu des plaines d'un Ouest en sursis. Il veut voir la Frontière, cette ligne mouvante qui sépare le monde dit civilisé du monde dit sauvage, avant que celle-ci ne disparaisse bientôt sous la pression des vagues migratoires de colons avides de terres. Épargnées pour le moment par cette colonisation, ces plaines herbeuses ondoyantes et monotones, peu boisées et balayées par le vent, se perdent au-delà de l'horizon pour former une mer végétale que traversent depuis des siècles des troupeaux de bisons et des tribus indiennes. Au cours d'une halte, Dunbar descend de son cheval pour contempler cet océan de graminées safranes de grande taille qui l'encerclent.  En tournant sur lui-même et au comble de sa méditation, il se met délicatement à caresser le sommet de leurs tiges frémissantes (photogramme 1). En symbiose totale avec cette nature qu'il respecte instantanément, la remise en cause de sa propre civilisation est en marche. Profondément meurtri par les horreurs de la guerre en cours dans l'est du pays, il fuit la folie et l'arrogance des hommes pour chercher dans ces solitudes une liberté que sa fonction d'officier dans l'armée du Nord lui interdisait. Pour lui, la vie ne peut se concevoir que dans le contact intime et physique avec la nature. Ayant vu la mort de près et réalisant petit à petit tout ce que la société codifiée dont il est issu représente de superfétatoire, c'est dans son acculturation à ce nouvel environnement que John Dunbar va désormais puiser la raison de son existence. Pourtant, il ignore encore qu'une tribu Sioux Lakota campe non loin de là. La première manifestation de la présence indienne se traduit par l'irruption dans le cadre d'un bras (photogramme 2). Le vêtement qui le moule, confectionné à partir d'une peau tannée frangée, ne laisse aucun doute sur l'origine de son propriétaire. Dans un lent mouvement ascendant, la caméra dévoile Kicking Bird reproduisant à l'identique les gestes que le lieutenant avait exécutés quelques jours auparavant. Même posture contemplative, mêmes effleurements des graminées dont la teinte dorée est le prolongement de sa tunique, même sensibilité environnementale, même sérénité devant l'ampleur d'un monde infini. Les trajectoires de John Dunbar et de Kicking Bird vont inévitablement se croiser pour contribuer à légitimer une vérité féconde que Kevin Costner décline tout au long de son film : la prise de conscience d'une initiation à l'Autre, à celui qui est différent, mais si proche ….

 


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