« Il y avait trois jeunes réalisateurs qui
promettaient à l'époque. D.W. Griffith, Cecil B. DeMille et Max von Mayerling
(…). J'aurais pu poursuivre ma carrière, mais tout m'était insupportable après
qu'elle m'eut quitté. Vous comprenez, j'ai été son premier mari ». C'est
avec ces mots aussi terribles que vertigineux que Max (Erich von Stroheim, à
droite du photogramme), le domestique de Norma Desmond (Gloria Swanson),
s'adresse, avec un air impavide, à Joe Gillis (William Holden, à gauche du
photogramme). Dans Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard,
Billy Wilder, 1950) et jusqu'à cet instant, il était ce valet dévoué au service
d'une ancienne star du cinéma muet, chargé d'entretenir l'illusion que Norma,
en dépit des années, restait cette légende vivante qu'elle fut dans les années
20. Devançant toujours les moindres caprices de sa maîtresse, organisant avec
un soin maniaque la villa de « Madame », engoncé dans une raideur disciplinée
et soumise, Max se révèle être, dans un coup de théâtre aussi violent
qu'abyssal, un ancien amant, un ancien mari et un ancien réalisateur, trois
facettes d'un même personnage tragique et pathétique qui a choisi de sacrifier
sa vie privée et professionnelle sur l'autel de la domesticité. Violent et
abyssal, parce que Max von Mayerling et Erich von Stroheim ne font qu'un. À
quoi peut penser cet acteur né en 1885 en Autriche-Hongrie et arrivé aux
États-Unis en 1909, lorsqu'il prononce, dans cette obscurité propice aux
confidences, ce monologue qui tient plus de la perversité masochiste que d'un
texte sorti d'un scénario ? En 1950, Erich von Stroheim n'est plus le cinéaste,
scénariste, décorateur et monteur hors-norme dont Hollywood cherchait à
contrôler la force créatrice. Ses films ont été mutilés (Folies de femmes/Foolish
Wives, 1922), remontés (Les Rapaces/Greed, 1924) non achevés
(Queen Kelly, 1928, déjà avec Gloria Swanson !). Sa carrière de
réalisateur a été définitivement brisée en 1933 par un Hollywood puritain et
conformiste, lassé par ses exigences artistiques qui explosaient les budgets et
sa vision du monde, pessimiste, violente et cruelle. Ne pouvant plus tourner,
on le vit jouer néanmoins chez les autres cinéastes. Son rôle d'officier
allemand au crâne rasé et au monocle sur l'œil droit, sanglé dans un uniforme
aussi raide que la minerve qui immobilise son cou est encore dans toutes les
mémoires (La Grande illusion, Jean Renoir, 1937). De 1915 à 1955, pas
moins de quatre-vingt-deux films virent sa silhouette inoubliable défiler
devant les caméras. Face à Joe Gillis, un scénariste raté engagé par Norma
Desmond pour rédiger le scénario qui lui permettra de faire son grand retour,
c'est le passé d'Erich von Stroheim que Billy Wilder met en scène pour mieux
stigmatiser ce miroir aux alouettes qu'est Hollywood, capable tout autant de
porter aux nues des hommes et des femmes que de détruire celles et ceux qui
s'écartent des sentiers battus. Sur le photogramme, son visage, à moitié
éclairé par une lumière crépusculaire, traduit cette dichotomie qui confine à
la folie: accepter de mettre en abyme la plaie de son échec et de ses
désillusions, en interprétant un rôle qui lui apportera en 1951 l'Oscar du
meilleur acteur dans un second rôle. Pourtant, que l'on ne s'y trompe pas, à
travers Max von Mayerling, et en le comparant à D.W. Griffith et Cecil B.
DeMille, c'est bien à Erich von Stroheim le réalisateur que Billy Wilder rend en
définitive un hommage appuyé et admiratif.
mardi 1 juin 2021
Le masochisme chez Billy Wilder
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