mardi 1 juin 2021

Le masochisme chez Billy Wilder

 

« Il y avait trois jeunes réalisateurs qui promettaient à l'époque. D.W. Griffith, Cecil B. DeMille et Max von Mayerling (…). J'aurais pu poursuivre ma carrière, mais tout m'était insupportable après qu'elle m'eut quitté. Vous comprenez, j'ai été son premier mari ». C'est avec ces mots aussi terribles que vertigineux que Max (Erich von Stroheim, à droite du photogramme), le domestique de Norma Desmond (Gloria Swanson), s'adresse, avec un air impavide, à Joe Gillis (William Holden, à gauche du photogramme). Dans Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard, Billy Wilder, 1950) et jusqu'à cet instant, il était ce valet dévoué au service d'une ancienne star du cinéma muet, chargé d'entretenir l'illusion que Norma, en dépit des années, restait cette légende vivante qu'elle fut dans les années 20. Devançant toujours les moindres caprices de sa maîtresse, organisant avec un soin maniaque la villa de « Madame », engoncé dans une raideur disciplinée et soumise, Max se révèle être, dans un coup de théâtre aussi violent qu'abyssal, un ancien amant, un ancien mari et un ancien réalisateur, trois facettes d'un même personnage tragique et pathétique qui a choisi de sacrifier sa vie privée et professionnelle sur l'autel de la domesticité. Violent et abyssal, parce que Max von Mayerling et Erich von Stroheim ne font qu'un. À quoi peut penser cet acteur né en 1885 en Autriche-Hongrie et arrivé aux États-Unis en 1909, lorsqu'il prononce, dans cette obscurité propice aux confidences, ce monologue qui tient plus de la perversité masochiste que d'un texte sorti d'un scénario ? En 1950, Erich von Stroheim n'est plus le cinéaste, scénariste, décorateur et monteur hors-norme dont Hollywood cherchait à contrôler la force créatrice. Ses films ont été mutilés (Folies de femmes/Foolish Wives, 1922), remontés (Les Rapaces/Greed, 1924) non achevés (Queen Kelly, 1928, déjà avec Gloria Swanson !). Sa carrière de réalisateur a été définitivement brisée en 1933 par un Hollywood puritain et conformiste, lassé par ses exigences artistiques qui explosaient les budgets et sa vision du monde, pessimiste, violente et cruelle. Ne pouvant plus tourner, on le vit jouer néanmoins chez les autres cinéastes. Son rôle d'officier allemand au crâne rasé et au monocle sur l'œil droit, sanglé dans un uniforme aussi raide que la minerve qui immobilise son cou est encore dans toutes les mémoires (La Grande illusion, Jean Renoir, 1937). De 1915 à 1955, pas moins de quatre-vingt-deux films virent sa silhouette inoubliable défiler devant les caméras. Face à Joe Gillis, un scénariste raté engagé par Norma Desmond pour rédiger le scénario qui lui permettra de faire son grand retour, c'est le passé d'Erich von Stroheim que Billy Wilder met en scène pour mieux stigmatiser ce miroir aux alouettes qu'est Hollywood, capable tout autant de porter aux nues des hommes et des femmes que de détruire celles et ceux qui s'écartent des sentiers battus. Sur le photogramme, son visage, à moitié éclairé par une lumière crépusculaire, traduit cette dichotomie qui confine à la folie: accepter de mettre en abyme la plaie de son échec et de ses désillusions, en interprétant un rôle qui lui apportera en 1951 l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle. Pourtant, que l'on ne s'y trompe pas, à travers Max von Mayerling, et en le comparant à D.W. Griffith et Cecil B. DeMille, c'est bien à Erich von Stroheim le réalisateur que Billy Wilder rend en définitive un hommage appuyé et admiratif.




Aucun commentaire:

Publier un commentaire