Au moment où ces lignes sont écrites, Kirk
Douglas vient d’avoir cent ans. Cet acteur, toujours sublime, a tout incarné. Du
producteur de cinéma (Les Ensorcelés/The Bad and The Beautiful, 1952) à
l’officier de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale (Les Sentiers de la gloire/Paths of Glory, 1957) en passant par le
gladiateur (Spartacus/1960) ou encore
Vincent Van Gogh (La Vie passionnée de
Vincent Van Gogh/Lust for Life, 1956),
cet Américain d’origine biélorusse a traversé la deuxième moitié du XXe siècle
en incarnant toutes les fonctions propres au cinéma; acteur, réalisateur (il
réalisera deux films; Scalawag en
1973 et Posse en 1975), producteur et
même écrivain . Il a également, à de multiples reprises, chevauché à travers
les plaines du Far West. Dans Le Dernier
train de Gun Hill (The Last Train
from Gun Hill de John Sturges/1958), il campe Matt Morgan, un shérif
intraitable, droit dans ses bottes, à la recherche de deux hommes qui ont violé
et assassiné sa femme indienne. Une selle marquée CB retrouvée sur les lieux du
crime, le mène dans le ranch du propriétaire de ces initiales, Craig Belden
(Anthony Quinn, formidable), qui s’avère être un ancien ami. C’est là que Matt
apprend que le fils de Craig, Rick, a été le dernier à utiliser la selle … La
rencontre entre le shérif et le grand propriétaire se déroule dans une vaste
pièce dont le décor va servir à différencier les deux protagonistes, tout en
illustrant parfaitement l’un des thèmes essentiels du western : la
civilisation incarnée par la loi et l’ordre, face à la sauvagerie matérialisée
par un homme, Craig, qui ne reconnaît d’autre maître que lui-même.
Matt est debout, filmé en contre-plongée; il domine
de toute la puissance de son verbe Craig, qui cherche, à ce moment-là, à éluder
les questions de plus en plus précises du shérif. Ce dernier est sobrement
vêtu. La dominante bleue de sa veste et de sa chemise est rehaussée par le nœud
papillon noir fermant son col, accentuant la détermination de l’expression de
son visage. Les yeux brillant d’une lueur farouche et les lèvres serrées, il
entend faire respecter la loi et s’y consacre totalement. Venant de la ville et
bien que très policé, Matt n’en reste pas moins le bras armé de la justice. Il
est celui qui refoule ses sentiments personnels afin d’accomplir le seul
objectif qu’il s’est assigné : faire respecter la loi et arrêter les
coupables. Mais Matt Morgan est un homme seul, face à ce potentat local qu’est Craig
Belden.
Celui-ci est l’archétype du cattle baron qui a réussi, par la seule force de ses bras à s’élever dans la hiérarchie sociale. C’est le self-made man typique devenu propriétaire
d’un ranch et de terres aux dimensions gargantuesques, tout en menant les
hommes (et les femmes) comme on mène le bétail, sans états d’âme particuliers.
La décoration de son intérieur le rattache au monde de la nature: les cornes
d’une vache, la Texas Longhorn, trônant fièrement au-dessus de l’âtre, et une
tête de bison taxidermisée accrochée au
mur, comme autant de trophées, matérialisent l’opulence de son propriétaire et
sa fonction essentielle: éleveur de bétail et chasseur de bisons. Une rangée de
Winchester, bien alignées dans une armoire vitrée, témoigne des moyens que peut
employer Craig pour parvenir à ses fins. Les problèmes pour lui se règlent le
fusil ou le colt à la main. Nul besoin de faire appel à la loi, puisqu’il
l’incarne, mais sans en avoir le mandat. Bien calé dans son fauteuil de cuir
noir, un cigarillo et un verre d’alcool dans la main droite dont l’annulaire
est cerclé par une grosse bague, Craig, pourtant doté d’une forte personnalité,
se laisse pour l’instant dominer par Matt. Habillé comme un cowboy, gilet en
cuir, jeans, chemise rayée au col bien ouvert quant à lui, le grand
propriétaire incarne le pouvoir sans partage. Il cherche par tous les moyens à
protéger son fils qui se révèle être, à ce moment-là, sa seule faiblesse. En
dépit de leur amitié ancienne, deux mondes antinomiques s’affrontent donc:
Craig incarne un Ouest individualiste, sanguin, bourru, violent au besoin,
ancré dans les immenses espaces des Grandes Plaines américaines, confronté au
monde de la ville de Matt, de l’ordre et de la civilisation au service de la collectivité.
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