Abyss
(James Cameron/1989) est un film tout à fait étonnant. Film sur la
Guerre froide – un sous-marin nucléaire américain coule au fond des océans avec
son chargement d’ogives que convoitent les Soviétiques -, film de
science-fiction, thriller, le cinquième long-métrage de James Cameron se
transforme, progressivement et sans crier gare, en conte métaphysique. À ce
moment-ci, Bud Brigman (Ed Harris, totalement immergé dans son rôle), le
contremaître de l’équipage de prospection sous-marine d’une plate-forme pétrolière,
revêt un scaphandre afin de désamorcer une ogive nucléaire qui a basculé dans
les abysses d’une fosse sous-marine, à plus de dix mille mètres de profondeur.
Face au risque que représente une plongée dans ces profondeurs aqueuses à la
verticalité démesurée, et pour supporter la pression terrible qui va s’exercer
sur lui, un membre des Navy Seal, la force spéciale de la marine américaine,
remplit le scaphandre de Bud d’un liquide orangé que celui-ci finit par avaler.
Ventilés par ce liquide au contenant oxygéné qui remplit son appareil
respiratoire, les poumons de Bud continuent de fonctionner normalement. Ce
retour à l’état de fœtus, alimenté par ce qui fait figure de liquide amniotique,
nous fait basculer, à l’instar de la fosse que va devoir affronter Bud, dans
une symbolique polysémique vertigineuse. Ce liquide, protecteur et régénérateur
permet un retour à la matière originelle, au ventre de la mère, à l’aurore de
la vie humaine. Mais il incarne aussi une passerelle, en apparence contradictoire,
entre la noyade et donc la mort et la respiration et donc la vie. Engoncé dans
cet habitacle, les yeux mi-clos et les lèvres entrouvertes, incapable de
parler, Bud est déjà entré dans un monde de silence et communique désormais avec
son entourage en utilisant un clavier numérique installé sur son bras gauche. Cette
fusion entre technologie et organicité crée un troublant sentiment d’émerveillement
teinté d’inquiétude. Titanic (1997)
et Avatar (2009) ont confirmé par la
suite cette obsession de James Cameron pour l’humain confronté à la science.
Celle-ci n’a pas toujours le dernier mot et dans Abyss, les bas-fonds de l’océan peuvent révéler des mystères que la
raison humaine ne peut appréhender. Michel Cieutat nous dit que « l’homme est
né de l’eau et n’aspire qu’à s’y replonger » (1). Fort de cette submersion interne et externe et
protégé par ce liquide emprisonné dans son casque, Bud peut désormais affronter
l’obscurité des eaux profondes dans une plongée hypnotique qui renvoie à nos
peurs primitives et ancestrales du gouffre ou du tombeau sans fond.
(1) Les grands thèmes du cinéma américain, tome 1
de Michel Cieutat, les Éditions du Cerf, 1988, p.105.
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