Dans No
Country for Old Men des frères Coen (2007), Llewelyn Moss (Josh Brolin)
chasse dans les immenses plaines du Texas, non loin de la frontière mexicaine,
lorsqu’il tombe par hasard sur les restes d’un règlement de comptes entre narco-trafiquants.
Sur ses gardes, il marche au milieu de pick-up abandonnés, de douilles, d’armes
jonchant le sol et de cadavres dont les vêtements ensanglantés montrent que
leurs propriétaires n’ont pas échangé que des amabilités entre gens du même
monde. Dans ce désert immense et totalement silencieux, la brutalité de ce
carnage est l’écho de la violence originelle imprégnant ce territoire qui a toujours
été convoité par les Comanches, les Espagnols, puis les Mexicains, les Texans
devenus Américains en 1845 et, aujourd’hui, par les gangs liés au trafic de
drogue. La scène du crime renvoie à la mythologie du film noir et du western
dont les frontières sont extrêmement poreuses : d’un côté, dans un espace
aride, les voitures sont disposées en cercle, comme à l’époque des pionniers,
mais avec l’ennemi à l’intérieur; d’un autre, le nombre de cadavres dont le
sable a déjà bu le sang rappelle les films de Sam Peckinpah et souligne
l’importance de l’enjeu - les sachets d’héroïne découverts à l’arrière d’un 4x4 -; et enfin, la fureur de l’affrontement entre bandes rivales évoque Scarface ou Little Caesar dans le Chicago des années 30. La puissance de ce
hors-champ convulsif est telle qu’elle permet d’explorer les recoins les plus
noirs du crime et les failles de la société américaine. Par sa valeur
dramatique, cette réalité subjective est le miroir de celle de l’ouverture de Major Dundee (Sam Peckinpah/1965) :
un détachement de cavalerie et les habitants d’un ranch – au Nouveau-Mexique
cette fois-ci mais toujours près de la frontière mexicaine - viennent d’être
massacrés par les Apaches de Sierra Chariba. Le nombre de victimes et l’état
dans lequel se trouvent certains corps laissent supposer que le combat a été
d’une grande sauvagerie. L’attaque a été filmée par le réalisateur, mais
supprimée au montage par des producteurs trop timorés et trop effrayés par la
violence consubstantielle à l’univers peckinpien. Rien de tel chez les frères
Coen qui choisissent de ne pas montrer au spectateur le règlement de comptes des
trafiquants pour permettre à l’imaginaire de prendre le pas sur la
représentation du réel. Ainsi le champ visuel ne peut être que fragmentaire et incomplet,
ce qui décuple la force de l’image. Celle-ci est de la même noirceur que celle
extraite du livre éponyme de Cormac McCarthy (1). La caméra est alternativement
placée à hauteur d’homme ou de cadavres, pour mieux immerger Llewelyn Moss dans
cet environnement macabre s’apparentant à une arène dont seuls les reliefs
montagneux ont assisté au massacre.
(1) No Country for Old Men de Cormac McCarthy, collection Points, 2008.
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