lundi 26 décembre 2016

Le hors-champ chez les frères Coen



Dans No Country for Old Men des frères Coen (2007), Llewelyn Moss (Josh Brolin) chasse dans les immenses plaines du Texas, non loin de la frontière mexicaine, lorsqu’il tombe par hasard sur les restes d’un règlement de comptes entre narco-trafiquants. Sur ses gardes, il marche au milieu de pick-up abandonnés, de douilles, d’armes jonchant le sol et de cadavres dont les vêtements ensanglantés montrent que leurs propriétaires n’ont pas échangé que des amabilités entre gens du même monde. Dans ce désert immense et totalement silencieux, la brutalité de ce carnage est l’écho de la violence originelle imprégnant ce territoire qui a toujours été convoité par les Comanches, les Espagnols, puis les Mexicains, les Texans devenus Américains en 1845 et, aujourd’hui, par les gangs liés au trafic de drogue. La scène du crime renvoie à la mythologie du film noir et du western dont les frontières sont extrêmement poreuses : d’un côté, dans un espace aride, les voitures sont disposées en cercle, comme à l’époque des pionniers, mais avec l’ennemi à l’intérieur; d’un autre, le nombre de cadavres dont le sable a déjà bu le sang rappelle les films de Sam Peckinpah et souligne l’importance de l’enjeu - les sachets d’héroïne découverts à l’arrière d’un 4x4 –; et enfin, la fureur de l’affrontement entre bandes rivales évoque Scarface ou Little Caesar dans le Chicago des années 30. La puissance de ce hors-champ convulsif est telle qu’elle permet d’explorer les recoins les plus noirs du crime et les failles de la société américaine. Par sa valeur dramatique, cette réalité subjective est le miroir de celle de l’ouverture de Major Dundee (Sam Peckinpah/1965) : un détachement de cavalerie et les habitants d’un ranch – au Nouveau-Mexique cette fois-ci mais toujours près de la frontière mexicaine - viennent d’être massacrés par les Apaches de Sierra Chariba. Le nombre de victimes et l’état dans lequel se trouvent certains corps laissent supposer que le combat a été d’une grande sauvagerie. L’attaque a été filmée par le réalisateur, mais supprimée au montage par des producteurs trop timorés et trop effrayés par la violence consubstantielle à l’univers peckinpien. Rien de tel chez les frères Coen qui choisissent de ne pas montrer au spectateur le règlement de comptes des trafiquants pour permettre à l’imaginaire de prendre le pas sur la représentation du réel. Ainsi le champ visuel ne peut être que fragmentaire et incomplet, ce qui décuple la force de l’image. Celle-ci est de la même noirceur que celle extraite du livre éponyme de Cormac McCarthy (1). La caméra est alternativement placée à hauteur d’homme ou de cadavres, pour mieux immerger Llewelyn Moss dans cet environnement macabre s’apparentant à une arène dont seuls les reliefs montagneux ont assisté au massacre.

(1) No Country for Old Men de Cormac McCarthy, collection Points, 2008.


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