La puissance de l’interprétation des jurés (Henry
Fonda et Lee J.Cobb pour ne citer qu’eux) du film de Sydney Lumet (Douze hommes en colère/Twelve Angry Men, 1957) en fait presque oublier le visage de celui qui est
l’enjeu des débats. Un jeune homme, dont le nom ne sera jamais prononcé, (John
Savoca, si fugitivement représenté qu’il n’a pas été crédité au générique du
film) est accusé d’avoir assassiné son père. Si les douze jurés se prononcent
sur sa culpabilité, celui-ci sera condamné à mort. Le film débute avec ce plan
rapproché épaule qui cadre l’accusé de manière particulièrement poignante.
Assis dans le box des accusés, le visage au bord des larmes et les lèvres
serrées par la peur qui l’habite, le jeune homme suit du regard les douze
hommes en train de partir pour délibérer dans un huis clos décisif. Un
éclairage oblique divise son visage en deux, matérialisant la dichotomie entre
son innocence et sa culpabilité. L’ombre qui obscurcit son front et une partie
de sa joue droite endeuille son regard d’une aura sinistre que la blancheur du
reste de son visage n’arrive pas à dissiper. L’axe de la perspective, en
plongée, contribue à souligner la fragilité du jeune homme. Celui-ci n’est pas
vu en caméra subjective par l’un des jurés, mais par le regard du metteur en
scène. Ce regard donne déjà le point de vue du cinéaste. Sidney Lumet est un
humaniste militant, pourfendant dans tous ces films les injustices (Douze hommes en colère est son premier
film), la corruption (Serpico, 1973)
et les turpitudes de la télévision (Network, 1976)
tout en défendant les perdants et les laissés-pour-compte de la société (Un après-midi de chien/Dog Day Afternoon, 1975). Par le
placement de la caméra, le choix des éclairages et le jeu tout intériorisé de
l’acteur, le réalisateur nous dit déjà que l’accusé est autre chose que ce
parricide que tout accuse, qu’il ne peut pas avoir commis l’irréparable ou
qu’un doute raisonnable doit au moins lui être profitable. La supplication
muette de l’infortuné jeune homme contraste totalement avec ce que nous allons
apprendre de lui tout au long des délibérations du jury : son enfance
difficile et la violence d’un quartier déshérité qui aurait armé son bras
meurtrier. Et si son nom n’est pas prononcé, pas plus que ceux des jurés (sauf
dans les toutes dernières secondes pour deux d’entre eux), c’est que Sidney
Lumet veut donner à son propos une valeur universelle, une dimension humaine
qui dépasse tous les archétypes. Dans un pays qui applique la peine de mort
pratiquement sans discontinuer depuis 1608 (avec des degrés divers selon les
États), ce film fait figure de jalon essentiel pour tous les abolitionnistes de
la peine capitale.
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