mardi 6 décembre 2016

L'accusé chez Sidney Lumet


La puissance de l’interprétation des jurés (Henry Fonda et Lee J.Cobb pour ne citer qu’eux) du film de Sydney Lumet (Douze hommes en colère/Twelve Angry Men, 1957) en fait presque oublier le visage de celui qui est l’enjeu des débats. Un jeune homme, dont le nom ne sera jamais prononcé, (John Savoca, si fugitivement représenté qu’il n’a pas été crédité au générique du film) est accusé d’avoir assassiné son père. Si les douze jurés se prononcent sur sa culpabilité, celui-ci sera condamné à mort. Le film débute avec ce plan rapproché épaule qui cadre l’accusé de manière particulièrement poignante. Assis dans le box des accusés, le visage au bord des larmes et les lèvres serrées par la peur qui l’habite, le jeune homme suit du regard les douze hommes en train de partir pour délibérer dans un huis clos décisif. Un éclairage oblique divise son visage en deux, matérialisant la dichotomie entre son innocence et sa culpabilité. L’ombre qui obscurcit son front et une partie de sa joue droite endeuille son regard d’une aura sinistre que la blancheur du reste de son visage n’arrive pas à dissiper. L’axe de la perspective, en plongée, contribue à souligner la fragilité du jeune homme. Celui-ci n’est pas vu en caméra subjective par l’un des jurés, mais par le regard du metteur en scène. Ce regard donne déjà le point de vue du cinéaste. Sidney Lumet est un humaniste militant, pourfendant dans tous ces films les injustices (Douze hommes en colère est son premier film), la corruption (Serpico, 1973) et les turpitudes de la télévision (Network, 1976) tout en défendant les perdants et les laissés-pour-compte de la société (Un après-midi de chien/Dog Day Afternoon, 1975). Par le placement de la caméra, le choix des éclairages et le jeu tout intériorisé de l’acteur, le réalisateur nous dit déjà que l’accusé est autre chose que ce parricide que tout accuse, qu’il ne peut pas avoir commis l’irréparable ou qu’un doute raisonnable doit au moins lui être profitable. La supplication muette de l’infortuné jeune homme contraste totalement avec ce que nous allons apprendre de lui tout au long des délibérations du jury : son enfance difficile et la violence d’un quartier déshérité qui aurait armé son bras meurtrier. Et si son nom n’est pas prononcé, pas plus que ceux des jurés (sauf dans les toutes dernières secondes pour deux d’entre eux), c’est que Sidney Lumet veut donner à son propos une valeur universelle, une dimension humaine qui dépasse tous les archétypes. Dans un pays qui applique la peine de mort pratiquement sans discontinuer depuis 1608 (avec des degrés divers selon les États), ce film fait figure de jalon essentiel pour tous les abolitionnistes de la peine capitale.


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