vendredi 16 décembre 2016

Le minéral chez William A. Wellman


Le directeur de la photographie, Joseph MacDonald, a fait un remarquable travail sur le tournage de La Ville abandonnée de William Wellman (Yellow Sky/1948). Utilisant parfaitement la topographie des Alabama Hills (Californie), il réussit, en jouant sur les pleins et les vides, à traduire autant l’ouverture que l’écrasement auxquels sont confrontés les personnages évoluant dans un espace aride et rocailleux, alors que le ciel apparaît aussi vide qu’immense. Entre désert et montagnes, les Alabama Hills sont des formations rocheuses aux pieds de la Sierra Nevada qui ont servi de cadre à des centaines de films. Un autre réalisateur, Bud Boetticher, en fera même son cadre de prédilection en y tournant pas moins de onze westerns dont quatre avec Randolph Scott (Sept hommes à abattre/Seven men from Now, 1956 – L’Homme de l’Arizona/The Tall T, 1957 – La Chevauchée de la vengeance/Ride Lonesome, 1959 et Comanche Station, 1960). À l’instar de Monument Valley pour John Ford, certains paysages sont ainsi indissociablement liés à ces cinéastes. Ce n’est pas le cas pour William A. Wellman qui, outre La Ville abandonnée n’a, quant à lui, tourné qu’un autre film dans ce décor (L’Étrange incident/The Ox-Bow Incident, 1943).
Un homme court (ici de dos James Dawson/Gregory Peck), poursuivi par une bande de malfrats qui veulent, comme dans tout bon western qui se respecte, l’envoyer ad patres. Il s’engage dans un défilé pour parvenir à grandes enjambées au sommet de la butte et disparaître derrière elle, comme happé par le ciel qui le surplombe. La mort est derrière lui, tenace, sournoise, avide comme un busard. Les deux escarpements qui dominent la silhouette sont en partie noyés dans l’ombre, et les éperons rocheux qui encadrent la faille sont autant de sentinelles silencieuses, indifférentes au fugitif et à la tragédie qui est en train de se jouer. L’âpreté du décor souligne la lutte sans merci à laquelle se livrent les protagonistes. La nature est répulsive et donc hostile. La couverture végétale est inexistante et la roche est aussi nue que le crâne de Yul Brynner. La combinaison de l’érosion éolienne et hydrique explique ces formes lisses, arrondies ou pointues, idéales pour mettre l’accent sur la violence qui accompagne la Conquête de l‘Ouest et les difficultés qu’ont les hommes à dompter les convulsions de ce chaos minéral. La nature et le contrôle de la terre sont indissociables du western parce qu’ils sont étroitement associés au troisième Président des États-Unis,Thomas Jefferson (1801 à 1809), et sa volonté de justifier l’expansion territoriale vers l’ouest par la domestication et l’exploitation des terres découvertes. Le western va s’emparer de cette idéologie pour la transformer en mythe (1). Mais ces paysages rocailleux, impropres à l’agriculture, ont toujours été des angles morts pour les colons qui les ont contournés pour mieux se diriger vers la côte Pacifique. C’est leur valeur dramatique et surtout cinégénique qui confirme ce que disait John Ford par la bouche du journaliste questionnant le sénateur Stoddard sur le vieil Ouest dans L’Homme qui tua Liberty Valance (The Man who shot Liberty Valance/1962): « quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende » !

(1) Voir l’article La Destinée manifeste et la Frontière chez Sydney Pollack


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