Le directeur de la photographie, Joseph MacDonald,
a fait un remarquable travail sur le tournage de La Ville abandonnée de William Wellman (Yellow Sky/1948). Utilisant parfaitement la topographie des Alabama
Hills (Californie), il réussit, en jouant sur les pleins et les vides, à
traduire autant l’ouverture que l’écrasement auxquels sont confrontés les
personnages évoluant dans un espace aride et rocailleux, alors que le ciel
apparaît aussi vide qu’immense. Entre désert et montagnes, les Alabama Hills
sont des formations rocheuses aux pieds de la Sierra Nevada qui ont servi de
cadre à des centaines de films. Un autre réalisateur, Bud Boetticher, en fera
même son cadre de prédilection en y tournant pas moins de onze westerns dont
quatre avec Randolph Scott (Sept hommes à
abattre/Seven men from Now, 1956 –
L’Homme de l’Arizona/The Tall T, 1957 – La
Chevauchée de la vengeance/Ride Lonesome, 1959 et Comanche Station, 1960). À l’instar de Monument Valley pour John
Ford, certains paysages sont ainsi indissociablement liés à ces cinéastes. Ce
n’est pas le cas pour William A. Wellman qui, outre La Ville abandonnée n’a, quant à lui, tourné qu’un autre film dans
ce décor (L’Étrange incident/The Ox-Bow
Incident, 1943).
Un homme court (ici de dos James Dawson/Gregory
Peck), poursuivi par une bande de malfrats qui veulent, comme dans tout bon
western qui se respecte, l’envoyer ad patres. Il s’engage dans un défilé pour
parvenir à grandes enjambées au sommet de la butte et disparaître derrière
elle, comme happé par le ciel qui le surplombe. La mort est derrière lui,
tenace, sournoise, avide comme un busard. Les deux escarpements qui dominent la silhouette sont
en partie noyés dans l’ombre, et les éperons rocheux qui encadrent la faille sont
autant de sentinelles silencieuses, indifférentes au fugitif et à la tragédie
qui est en train de se jouer. L’âpreté du décor souligne la lutte sans merci à
laquelle se livrent les protagonistes. La nature est répulsive et donc hostile.
La couverture végétale est inexistante et la roche est aussi nue que le crâne
de Yul Brynner. La combinaison de l’érosion éolienne et hydrique explique ces
formes lisses, arrondies ou pointues, idéales pour mettre l’accent sur la violence
qui accompagne la Conquête de l‘Ouest et les difficultés qu’ont les hommes à
dompter les convulsions de ce chaos minéral. La nature et le contrôle de la
terre sont indissociables du western parce qu’ils sont étroitement associés au troisième Président des États-Unis,Thomas Jefferson (1801 à 1809), et sa volonté de justifier
l’expansion territoriale vers l’ouest par la domestication et l’exploitation
des terres découvertes. Le western va s’emparer de cette idéologie pour la
transformer en mythe (1). Mais ces paysages rocailleux, impropres à
l’agriculture, ont toujours été des angles morts pour les colons qui les ont
contournés pour mieux se diriger vers la côte Pacifique. C’est leur valeur
dramatique et surtout cinégénique qui confirme ce que disait John Ford par la
bouche du journaliste questionnant le sénateur Stoddard sur le vieil Ouest dans
L’Homme qui tua Liberty Valance (The Man who shot Liberty Valance/1962):
« quand la légende dépasse la réalité,
imprimez la légende » !
(1) Voir l’article La Destinée manifeste et la Frontière chez Sydney Pollack
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