La
Ville abandonnée (Yellow Sky, William Wellman,
1948) bénéficie d'un noir et blanc particulièrement soigné dont tout le mérite
revient encore une fois au directeur de la photographie Joseph MacDonald.
Celui-ci s'était déjà illustré aux côtés de John Ford (La Poursuite infernale/My
Darling Clementine, 1946), de Henry Hathaway (Appelez nord 777/Call
Northside 777, 1948) et de William Keighley (La Dernière rafale/The Street
with No Name, 1948). Du film noir au western, il a su tirer le meilleur parti
des ambiances crépusculaires, des contrastes entre l'ombre et la lumière et des
éclairages entre chien et loup. La caméra surprend ici Dude (Richard Widmark)
en train d'épier James Dawson (Gregory Peck), Constance Mae (Anne Baxter) et
son grand-père (James Barton) réunis dans la chambre d'une masure perdue à la
périphérie d'une ville fantôme, Yellow Sky, en plein désert. Deux sources de
lumière encadrent son visage, alors que le reste du corps reste tapi dans
l'ombre. La première provient de l'intérieur de la pièce et éclaire d'une lueur
blafarde ses yeux sournois et son rictus mauvais. La deuxième éclaire les
reliefs rocheux et le désert à l'arrière-plan dont les contours témoignent
d'une géographie âpre et tragique, hostile à l'homme. L'éclairage rasant qui
passe par la fenêtre rend Dude encore plus menaçant. La menace ainsi créée est
redoublée par la composition de l'image : celle-ci est formée de taches
d'ombres et de lumières établissant une tension dramatique entre ce qui se lit
sur les traits de Dude et les formes (le cadre de la fenêtre, les contours
arrondis des rochers, la balustrade), donnant à l'ensemble une cohérence
esthétique dont la monochromie ne fait que révéler l'âme noire du hors-la-loi.
C'est donc bien par des affinités resserrées entre le décor objectivement
présenté et la subjectivité sournoise de Dude que Joseph MacDonald tisse sa
trame photographique. Le visage aux trois-quarts éclairés de Dude suggère également
la duplicité du personnage, complice de James pour l'instant mais désireux de
se débarrasser de lui pour faire main basse sur l'or que le grand-père et sa
fille ont extrait de cette nature sauvage. Cette duplicité se lit jusqu'à son
nom Dude, qui dans le western désigne plutôt le pied-tendre, l'homme ordinaire,
mal assuré, sans expérience et fraîchement débarqué dans cet Ouest américain
sans foi ni loi. Or, le Dude de Wellman est tout le contraire : bandit de grand
chemin, fourbe et cruel, totalement déshumanisé et au diapason de cette nature
inhospitalière, il fait penser au tueur psychopathe, Tommy Udo (déjà interprété
par Richard Widmark dans Le Carrefour de
la mort/Kiss of Death, Henry
Hathaway, 1947) (1). Dans ce plan, tout semble figé et l'intensité dramatique
déployée immobilise Dude, tout en force retenue, dans un espace et une durée
qui précédent l'affrontement. Si le noir et blanc sied particulièrement à Joseph
MacDonald, la couleur et le cinémascope lui permettront également de déployer
toute sa science de la photographie. Rio
Conchos (Gordon Douglas, 1964), La
Canonnière du Yang-Tsé (The Sand
Pebbles, Robert Wise, 1966) ou encore son dernier film L'Or de Mackenna (Mackenna's
gold, Jack Lee Thompson, 1969) lui fourniront l'occasion de magnifier des
espaces dans lesquels notre œil pourra se noyer.
(1) Voir la
chronique Le sadisme chez Henry Hathaway
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