Dans L'Attaque de la malle-poste (Rawhide, Henry Hathaway, 1951), la mine
patibulaire, le sourire carnassier et l'exotropie ou strabisme divergent de
Jack Elam n'ont jamais été aussi bien utilisés. Celui-ci interpréte Tevis, un
hors-la-loi lubrique, vicieux, violent et constamment au bord de l'hystérie,
membre d'un gang désireux de s'emparer d'une diligence transportant cent mille
dollars en or. Exécuteur des basses œuvres, c'est lui qui dégaine plus vite que
ne fonctionne son cerveau. Ce qu'exprime alors son visage n'est qu'un
avant-goût de la violence qui va déferler. Lorsqu'il sourit, on ne sait jamais
trop quoi penser, mais le pire est souvent à venir. Mis sous pression, comme
dans ce plan, (il tient en joue, hors-champ, Tom Owens (Tyrone Power) et Sam
Todd (Edgar Buchanan), les deux gestionnaires du relais de diligence), son œil
gauche devient convulsif, frétillant et, pour tout dire, légérement fiévreux. Animé
de cette particularité oculaire, que complètent un visage anguleux ainsi qu'un
corps longiligne et sec,Tevis domine de la tête et des épaules ses comparses
qui apparaissent bien ternes derrière lui (Gratz (George Tobias) à droite de
l'écran et Yancy (Dean Jagger), en partie caché, à gauche. Même le héros de
l'histoire Tom Owens est éclipsé par la furia de ce gibier de potence. Henry
Hathaway aime visiblement cette trogne atypique puisqu'il la filme longuement et
quasiment en gros plan avec une boulimie et une délectation certaines. Le
réalisateur peut être convaicu que le plaisir pour le spectateur est partagé
au-delà de ses espérances. Nul ne peut oublier ce regard pétillant d'une brute
névrosée qui n'a pas besoin d'être avinée pour semer sur son passage mort et
désolation. Tevis semble jouir de sa puissance, incapable de maîtriser son
hyperémotivité et son exaltation. Son pouls s'accélère, des troubles divers
(ricanement sardonique, arcades sourcilières en mouvement, muscles faciaux
imprimant en creux la moitié basse de son visage) animent subitement sa
physionomie et son débit verbal devient chaotique. D'habitude, le rire a un
effet antidépresseur immédiat: c'est rarement le cas pour Tevis, qui n'attend
qu'un ordre de son patron pour montrer que son enthousiasme débridé pour les
tueries n'est pas feint. Pour une fois, L'Attaque
de la malle-poste offre à Jack Elam la possibilité d'exprimer, quasiment
dans tous les plans sans discontinuer, toute la richesse de son jeu et de son expressivité,
contrairement à la facheuse habitude qu'avaient les scénaristes de l'envoyer ad
patres trop rapidement. Ainsi, son intervention de quelques secondes dans Le Train sifflera trois fois (High Noon, Fred Zinnemann, 1952) et dans laquelle il joue un ivrogne libéré de
prison par le shériff Will Kane (Gary Cooper), fait grise mine. Le plus souvent
à l'arrière-plan, et dans des rôles de hors-la-loi plus ou moins retors, comme
dans L'Ange des maudits (Rancho Notorious, Fritz Lang, 1952), Vera Cruz (Robert Aldrich, 1954) ou
encore L'Homme de la plaine (The Man from Laramie, Anthony Mann,
1955), Jack Elam trouve avec Hathaway un rôle à sa démesure et digne de son
anatomie inimitable. Ayant perdu, enfant, partiellement l'usage de son œil
gauche à la suite d'un accident, il saura en faire au cinéma un outil
dramatique qui fera de lui le bad guy
par excellence.
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