Des palmiers, un ciel bleu, et bientôt la mer
défilent dans le reflet de la vitre du bus qui mène Rico Rizzo (Dustin Hoffman,
à gauche) et Joe Buck (Jon Voight, à droite), vers le Sunshine State. L'image idyllique de la Floride, métonymie du rêve
américain, surgit au matin du dernier jour de leur voyage. Partis de New-York
la veille, Rico et Joe sont deux marginaux, deux déclassés qui se sont
rencontrés fortuitement dans Big Apple.
Le premier est un escroc minable, clochardisé, infirme et malade vivant d'expédients
et de larcins, alors que le deuxième, candide et un peu nigaud, croyait que sa
mine de bellâtre, sa jeunesse vigoureuse, son stetson, sa veste à franges et
ses bottes de cowboy lui permettaient de quitter son Texas natal pour vendre
ses charmes à des femmes argentées et d'un âge certain, ne demandant que cela
parce que fascinées par le mythe du cowboy viril. Dans une société où il ne
peut y avoir de salut qu'individuel, leur compréhension mutuelle d'une aide
réciproque va sceller une amitié, d'abord conflictuelle, puis progressivement
fraternelle. S'impose alors une narration à deux voix nous décrivant deux
figures aux ailes brûlées, désillusionnées, paupérisées, dérivant dans les
quartiers les plus sordides de la ville. La terre promise new-yorkaise se
révélant une jungle urbaine oppressante, la Floride et son soleil permanent
serviront alors de boussole fantasmée à ces deux perdants, ces laissés- pour-compte,
exclus du miroir aux alouettes qu'est l'american
way of life. Débarrassé de ses habits de cowboy qui étaient censés lui
permettre de se lancer, à rebours des premiers colons, à la conquête de l'Est,
Joe vient d'acheter pour Rico et lui, des chemises de plage plus conformes au
climat et à la culture de la Floride, pour se lancer cette fois-ci, à la
conquête du Sud. « Il doit y avoir un
moyen plus facile pour gagner sa vie, un genre de travail au grand air »
dit-il à Rico apparemment assoupi, la tête reposant sur la vitre. Mais c'est à
un mort qu'il s'adresse. Épuisé, vidé de ses forces, terrassé par la
tuberculose, Rico vient de rendre son dernier soupir, alors que le bus est sur
le point d'arriver à Miami. Ironiquement, les palmiers imprimés sur sa chemise
se superposent aux palmiers qui jalonnent la route longeant la mer. Le rêve de
Rico s'est enfin réalisé mais à titre posthume, et dès lors transparait cette
amertume qui submerge ceux qui ne peuvent réaliser leurs aspirations, faute de
se départir de ce fatalisme social et de cette inaptitude à maîtriser les codes
qui pourraient leur permettre de s'intégrer dans la société. En guise d'oraison
funèbre, Joe le serre contre lui dans un geste d'amour. Du taudis dans le Bronx
au soleil de Floride, l'itinéraire de Rico et de Joe se solde par un échec,
même si Joe n'est plus le même par rapport à son départ du Texas. Alors que son
premier voyage – déjà en bus – le lançait à la conquête du monde à la manière
d'un John Wayne, le deuxième le voit métamorphosé autant d'un point de vue
vestimentaire que mental. Conscient de la dureté du réel, il avance désormais
seul vers un hypothétique avenir. La mort de Rico et le regard vide de Joe,
parachevés par le fondu au noir qui clôt Macadam
cowboy (Midnight Cowboy, John
Schlesinger, 1969), enterrent définitivement l'espoir de liberté et de
prospérité, deux facteurs constitutifs du rêve américain.
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