jeudi 28 février 2019

Les favorites chez Yorgos Lanthimos




Dans La Favorite (The Favourite, Yorgos Lanthimos, 2018), Sarah Churchill, duchesse de Marlborough (Rachel Weisz, photogramme 2) est la confidente, la courtisane, l'éminence grise et la favorite d'Anne (Olivia Colman), reine d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande jusqu'à l'arrivée d'Abigail Hill (Emma Stone, photogramme 1), une ancienne aristocrate déchue de ses droits qui cherche par tous les moyens à retrouver une place à la cour royale, au plus près de la reine. Alors que la guerre de Succession d'Espagne (1701-1714) fait rage à l'extérieur du royaume, une autre guerre, plus larvée, plus insidieuse mais tout aussi mortelle se joue entre ces deux femmes plus arrivistes et ambitieuses l'une que l'autre. Elles ont pris l'habitude de se livrer, dans les jardins du Palais de Kensington, à une joute qui tient davantage du règlement de comptes haineux que de l'aimable divertissement. Un tir aux pigeons leur permet, en effet, de se mesurer l'une à l'autre sur la capacité de chacune à abattre d'un coup de mousquet, le plus rapidement possible, l'infortuné volatile qu'un serviteur aura préalablement lâché dans les airs. À peine Abigail a-t-elle pointée son arme que l'oiseau est déjà abattu, éclaboussant de son sang le visage de Lady Marlborough. Les taches écarlates qui constellent la moitié droite de son visage, et qui lui donnent l'air de saigner, ne sont qu'une préfiguration de ce qu'elle va connaître dans les jours qui suivront. La favorite de la reine, celle qui gouverne à sa place, celle qui partage son intimité et son lit vient de trouver sur son chemin une rivale encore plus machiavélique et tueuse qu'elle. Ce sont ces deux femmes qui mènent une danse cruelle autour de la dernière reine de la Maison Stuart; cette dernière n'est d'ailleurs pas dupe des intrigues qui se trament autour d'elle. De soubrette à Secrétaire financière en passant par dame de chambre, Abigail gravit un à un les échelons du pouvoir de la même manière qu'elle manie le mousquet : avec une froide détermination et une rage contenue à la hauteur des humiliations qu'elle a subies dans sa jeunesse.  Empruntant à Barry Lyndon sa vanité et son désir de reconnaissance (Barry Lyndon, Stanley Kubrick, 1975), Abigail exprime dans sa confrontation avec Sarah Churchill, tout autant une obsessionnelle quête de puissance qu'un abandon vertigineux de tout sens moral. Jouxtant le palais, ce terrain de jeu, en apparence bucolique, cerné par des haies savamment taillées et ornementé de bosquets, de fontaines et d'étangs, n'est autre que le cadre d'une dramaturgie toxique portée à l'incandescence. Abigail montre que l'on peut abattre un adversaire sans forcément le tuer, mais elle ne sait pas encore que, comme celle de la duchesse de Marlborough, son ascension irrésistible ne peut s'achever, tôt ou tard, que par une inéluctable chute. Orfèvre en la matière (The Lobster, 2015 ou The Killing of a Secret Deer, 2017) Yorgos Lanthimos filme la violence et la perversité des rapports humains qui sous le faste de la dynastie des Stuart n'en révèle pas moins une vision désespérée de la condition humaine.



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