Dans La
Favorite (The Favourite, Yorgos
Lanthimos, 2018), Sarah Churchill, duchesse de Marlborough (Rachel Weisz,
photogramme 2) est la confidente, la courtisane, l'éminence grise et la
favorite d'Anne (Olivia Colman), reine d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande
jusqu'à l'arrivée d'Abigail Hill (Emma Stone, photogramme 1), une ancienne
aristocrate déchue de ses droits qui cherche par tous les moyens à retrouver
une place à la cour royale, au plus près de la reine. Alors que la guerre de
Succession d'Espagne (1701-1714) fait rage à l'extérieur du royaume, une autre
guerre, plus larvée, plus insidieuse mais tout aussi mortelle se joue entre ces
deux femmes plus arrivistes et ambitieuses l'une que l'autre. Elles ont pris l'habitude
de se livrer, dans les jardins du Palais de Kensington, à une joute qui tient
davantage du règlement de comptes haineux que de l'aimable divertissement. Un
tir aux pigeons leur permet, en effet, de se mesurer l'une à l'autre sur la capacité
de chacune à abattre d'un coup de mousquet, le plus rapidement possible,
l'infortuné volatile qu'un serviteur aura préalablement lâché dans les airs. À
peine Abigail a-t-elle pointée son arme que l'oiseau est déjà abattu, éclaboussant
de son sang le visage de Lady Marlborough. Les taches écarlates qui constellent
la moitié droite de son visage, et qui lui donnent l'air de saigner, ne sont
qu'une préfiguration de ce qu'elle va connaître dans les jours qui suivront. La
favorite de la reine, celle qui gouverne à sa place, celle qui partage son
intimité et son lit vient de trouver sur son chemin une rivale encore plus
machiavélique et tueuse qu'elle. Ce sont ces deux femmes qui mènent une danse cruelle
autour de la dernière reine de la Maison Stuart; cette dernière n'est d'ailleurs
pas dupe des intrigues qui se trament autour d'elle. De soubrette à Secrétaire
financière en passant par dame de chambre, Abigail gravit un à un les échelons
du pouvoir de la même manière qu'elle manie le mousquet : avec une froide
détermination et une rage contenue à la hauteur des humiliations qu'elle a
subies dans sa jeunesse. Empruntant à
Barry Lyndon sa vanité et son désir de reconnaissance (Barry Lyndon, Stanley Kubrick, 1975), Abigail exprime dans sa
confrontation avec Sarah Churchill, tout autant une obsessionnelle quête de
puissance qu'un abandon vertigineux de tout sens moral. Jouxtant le palais, ce
terrain de jeu, en apparence bucolique, cerné par des haies savamment taillées
et ornementé de bosquets, de fontaines et d'étangs, n'est autre que le cadre
d'une dramaturgie toxique portée à l'incandescence. Abigail montre que l'on
peut abattre un adversaire sans forcément le tuer, mais elle ne sait pas encore que,
comme celle de la duchesse de Marlborough, son ascension irrésistible ne peut s'achever,
tôt ou tard, que par une inéluctable chute. Orfèvre en la matière (The Lobster, 2015 ou The Killing of a Secret Deer, 2017)
Yorgos Lanthimos filme la violence et la perversité des rapports humains qui
sous le faste de la dynastie des Stuart n'en révèle pas moins une vision
désespérée de la condition humaine.
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