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Oiseau de nuit, LLewyn Davis (Oscar Isaac,
photogramme 1) est un chanteur-guitariste folk, sans domicile fixe et régulièrement
désargenté, qui écume soir après soir les clubs de Greenwich Village dans le
New-York du début des années 60. À la recherche d'une notoriété qui se refuse à
lui jusqu'à présent, il interprète, guitare à la main, et d'une voix
mélancolique, Fare Thee Well, une
ballade américaine traditionnelle dont les paroles et les accords de guitare se
répandent dans la pénombre d'un club. Sur scène, la lumière est tamisée et
seuls deux projecteurs jettent un éclairage blafard sur la silhouette du
guitariste assis sur une chaise. Sa prestation achevée, il quitte la scène sous
des applaudissements polis et mesurés. Et alors que la caméra suit en travelling
latéral Llewyn Davis quittant la salle, un autre chanteur monte sur scène,
s'installe sur le siège laissé vacant, accorde sa guitare et, harmonica positionnée
près de sa bouche, entame la chanson Farewell,
une chanson inspirée par une ballade britannique Leaving in Liverpool. Cette autre silhouette n'est autre que celle
du jeune Robert Allen Zimmerman, alias Bob Dylan (photogramme 2). Ses cheveux frisés,
sa guitare, son porte-harmonica autour du cou et sa voix nasillarde inimitable
– avant d'être celle de toute une génération -
ne laissent planer aucun doute. Dans Inside
Llewyn Davis (2013), les frères Coen saisissent, dans ce moment plein
d'amertume, deux destins divergents: le premier illustre celui de Llewyn Davis
dont le personnage s'inspire de Dave Van Ronk, un chanteur-guitariste, militant
d'extrême-gauche et père fondateur du folk revival de la fin des années 50,
mais qui n'a jamais obtenu d'autre reconnaissance que celle de ses pairs, alors
que le second illustre celui de Bob Dylan – qui n'a jamais caché l'admiration
qu'il avait pour le précédent – en route pour la gloire. En 1961, celui-ci en est
encore à chanter des chansons folk traditionnelles. Son premier album publié en
1962 et intitulé sobrement Bob Dylan,
ne contient – mis à part deux compositions personnelles – que des folk-songs déjà interprétées par
d'autres. Mais, si la caméra des frères Coen se concentre sur Llewyn Davis,
c'est parce qu'il rejoint la longue liste des perdants qui peuplent leur
cinématographie. De Julian Marty (Sang
pour sang/Blood Simple, 1985) à Ulysse
Everett (O'Brother, 2000) en passant
par Hi (Raising Arizona, 1987) ou Jerry
Lundegaard (Fargo, 1996) et ici
Llweyn Davis, c'est tout un florilège de marginaux plus ou moins attachants,
plus ou moins pathétiques, plus ou moins dysfonctionnels qui cherchent à donner
une raison à leur existence, mais sans jamais y parvenir. Si Llewyn ne trouve
pas le succès, ce n'est pas faute de talent ni d'obstination, mais plutôt en
raison d'une incapacité à se plier aux normes que lui impose le show-business. Tout
en vulnérabilité et en défaitisme, n'incarnant pas les préoccupations de ses
contemporains – au contraire de Bob Dylan -, le guitariste-chanteur évolue sur
une ligne de crête entre une reconnaissance populaire inaccessible et une
marginalité anonyme. Prédestiné à rester sur le bord de la route, il n'a pas
encore conscience, en regardant Bob Dylan, de contempler le miroir inversé de son
propre échec.
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