mercredi 27 février 2019

La solitude chez Fred Zinnemann




Dans un vertigineux mouvement de grue ascendant, la caméra de Fred Zinnemann cadre le marshal Will Kane (Gary Cooper), seul, dans la rue principale de Hadleyville. Menacé par l'arrivée de Frank Miller (Ian McDonald), qu'il avait cinq ans auparavant arrêté et contribué à faire juger et condamner, Will Kane sait que trois comparses aux mines patibulaires attendent leur patron à la gare, par le train de midi. Apprenant ce retour le jour même à 10h35, Will n'a qu'une heure et vingt-cinq minutes pour recruter des adjoints avant d'affronter le gang qui veut manifestement lui faire payer cher le séjour de Frank en prison. En reprenant les règles du théâtre classique – unités de temps, de lieu et d'action -, le metteur en scène filme le renoncement, la démission, la lâcheté et la veulerie de toute la population de la ville qui refuse d'apporter l'aide dont le marshal aurait désespérément besoin. En sortant de son bureau, alors que la rue principale s'est vidée de toute vie, Will scrute avec angoisse les façades des immeubles écrasés par le soleil qui ne va pas tarder à arriver à son zénith. High Noon (midi pile), titre original du Train sifflera trois fois (1952) repose sur un scénario écrit par Carl Foreman, un ancien membre du parti communiste américain, qui désirait transposer à l'écran une allégorie sur le maccarthysme qu'il subit de plein fouet pendant la production du film, puisqu'il fut convoqué en juin 1951, devant la Commission des activités antiaméricaines qui le mit sur la liste noire d'Hollywood (1). Le marshal Will Kane est donc Carl Foreman lui-même, et les tueurs lancés à ses trousses ne sont autres que les membres de la Commission, soutenus par une population objectivement passive et couarde. Seul contre tous, lâché par ceux qui se disaient des amis, abandonné par sa femme Amy (Grace Kelly) et son ancienne maîtresse Helen Ramirez (Katy Jurado), le monde se dérobe sous ses pieds. Certains habitants sont terrés, hors-champ, dans leurs maisons, alors que nous les devinons, scrutant derrière les rideaux l'issue du gunfight qui se prépare, d'autres sont au saloon, attendant, toute honte bue, que l'orage passe, ou encore à l'église, cherchant une rédemption qui leur sera refusée. Ce dimanche n'est pas un dimanche comme les autres en ce sens qu'il signe la fin possible de la civilisation et le retour au chaos primitif, toutes les figures des institutions ayant déserté la ville, physiquement (le juge) ou moralement (le pasteur). Il ne reste que le marshal, plus que jamais fragilisé par ce mouvement de grue accentuant son écrasement, son impuissance et la disproportion entre sa taille minuscule et les volumes des maisons qui l'encadrent, comme autant de mâchoires prêtes à se refermer sur lui. Ultime rempart moral face au mal, Will Kane marche vers son destin, dans cette rue dont le sable va bientôt se gorger de sang.

(1) Voir les articles Le maccarthysme chez Jay Roach et Le miroir chez Martin Ritt



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