Dans
le film, Un peuple et son roi
(2018), Pierre Schoeller procède à plusieurs
reprises par allégories interposées. Cette séquence se situe à Paris le 15
juillet 1789, au lendemain donc de la prise de la Bastille par des émeutiers
dont la grande majorité venait du faubourg Saint-Antoine. Au sommet de la tour,
des ouvriers sont en train de désceller, pierre par pierre, ce symbole de
l'absolutisme royal. Et alors que les pierres tombent les unes après les autres,
le soleil qui restait toujours caché par l'imposante tour du Coin de la
bastide, apparaît pour la première fois, illuminant la rue Saint-Antoine et les
habitants sortis à ce moment de leurs demeures. L'allégorie est trop belle: des
hommes, des femmes et des enfants sont fascinés par ces rayons du soleil qui
irradient leurs visages annonçant des lendemains qui doivent forcément chanter.
L'absolutisme est vaincu, le peuple a pris les armes et son destin en main, le
présent ne pourra plus être comme le passé, l'espoir est à la portée de tous et
l'idée de liberté se répand comme une traînée de poudre dans cette rue
bruissante de pas, et de cris. La rue St Antoine devait être le type de rue, à
portée de voix de la Bastille, qui avait
fini par s'habituer à cette masse architecturale qui bloquait l'horizon.
D'abord décontenancés par cette lumière, les Parisiens veulent « renverser la métaphore du roi-soleil et se
réapproprier l'énergie de cet astre qui était jusque-là l'apanage du monarque
» (1). Les Parisiens, mais surtout les Parisiennes qui sont montrées par Pierre
Schoeller comme les égales des hommes, veulent participer à ces journées insurrectionnelles
et à ce nouveau monde qui ne peut se faire sans elles. Tout à son lyrisme
échevelé et sa ferveur communicative, le réalisateur oppose la tour de la
forteresse au peuple. Si la première a cessé d'incarner l'arbitraire royal et son
pouvoir de coercition (même si seuls sept prisonniers furent libérés !), le
deuxième n'est autre que ce héros collectif qu'avait théorisé en son temps
Eisenstein (La Grève, 1924 ou Le Cuirassé Potemkine, 1925), un héros
protéiforme et polymorphe, tour à tour acteur de son destin, mais aussi victime
de l'adversité qui lui est opposée. Au-delà de son jeune âge, la petite fille (photogramme
2) ne sourit pas mais porte un regard étonné et neuf sur le monde qui l'entoure
et sur les soubresauts de l'Histoire qu'elle semble confusément saisir. L'élan
populaire auquel elle participe aux côtés des adultes associe ainsi l'intime à
l'universel dans une ivresse partagée. La rue et les façades des bâtiments
perdent leur perspective ombragée en même temps que le soleil leur redonne une forme
et un sens. Cette Bastille qui va bientôt disparaître n'est que la
préfiguration des événements à venir qui vont progressivement substituer la
Nation au peuple et la souveraineté nationale à la souveraineté d'un roi.
Marchant sur les traces de Jean Renoir (La
Marseillaise, 1938), Pierre Schoeller filme des hommes et des femmes
ballotés par une Histoire dont les premières pages sont en train d'être écrites.
(1) Un peuple et son roi, dossier pédagogique réalisé par Vital Philipot,
Philippine le Bret et Anaïs Clerc-Bedouet pour zéro de conduite.net, 2018, p.9
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