Le prologue des Tueurs (The Killers de
Robert Siodmak/1946) est anthologique. Deux tueurs à gages arrivent de nuit
dans Brentwood, une ville perdue du New-Jersey à la recherche de Pete Lunn dit
le « Suédois » (Burt Lancaster, dans son premier rôle). Renseignés par le
pompiste, Max et Al entrent dans un motel, gravissent les marches de l’escalier
pour s’arrêter au niveau d’un appartement et sortir leurs revolvers. Coiffés
chacun d’un feutre mou et revêtus d’un trench coat, cravatés, rasés de près et
bien mis de leur personne, ce grand sec
et ce petit joufflu (1) ont tout des tueurs appointés pour accomplir une
sinistre et basse besogne : éparpiller
façon puzzle l’homme qui se trouve derrière cette porte. Cet homme, c’est
le « Suédois », couché sur un lit dans une pièce miteuse plongée dans
l’obscurité. Lui, par contre, fait peine à voir. Ancien boxeur, reconverti en aide-pompiste
pour des raisons encore mystérieuses, il s’est replié dans sa chambre pour
ruminer de sombres pensées. Un maillot de corps blanc défraîchi et un pantalon
fripé font office de pyjama. Manifestement, il ne profite pas d’une nuit
réparatrice après avoir passé sa journée à remplir les réservoirs des voitures
qui se sont égarées le long de cette route au milieu de nulle part. Sa chambre
est d’une austérité monacale : un lit qui n’a pas été fait depuis
longtemps, un guéridon sur lequel se tient une lampe de chevet, des murs
derrière lui, nus et lugubres. En bon stoïcien, très intériorisé, le « Suédois
» sait qu’il ne peut pas lutter contre ce qui ne dépend pas de lui. Prévenu du
danger par un ami, il semble néanmoins attendre son heure, n’a aucune intention
de s’enfuir et accepte, comme tout personnage inséparable du film noir, la
fatalité qui va s’abattre sur ses épaules. Le laisser-aller vestimentaire du « Suédois
» et son lourd passé le prédestinent à une mort violente imminente. De l’autre
côté de la porte et par la magie du montage alterné, les deux tueurs, comme
autant de prédateurs dénués d’émotions, sont sur le point de justifier la
signature de leur contrat et de leur grasse rémunération qui les relient au
monde du crime organisé dans lequel il n’est pas nécessaire d’être pompiste
pour gagner sa vie. Le film est tiré d’une nouvelle éponyme d’Ernest Hemingway,
parue en 1928 dans le recueil Cinquante
mille dollars. (2) La petite histoire veut que l’écrivain avait l’habitude
de montrer le prologue du film de Siodmak à ses invités, mais qu’il s’endormait
immédiatement après puisque la suite du scénario n’avait plus rien à voir avec
ce qu’il avait écrit. Il avait tort, parce Les
Tueurs est l’un des films noirs les plus flamboyants jamais réalisés.
(1) De la
nouvelle d’Hemingway au film noir de Siodmak, une étude de l’adaptation des
Tueurs par Marguerite Chabrol, dans
les suppléments du DVD Les Tueurs
chez Carlotta.
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