samedi 21 janvier 2017

Le chaos urbain chez Michael Mann


En plein centre de Los Angeles, Neil McCauley (Robert De Niro) et Chris Shiherlis (Val Kilmer) viennent de cambrioler une banque, lorsqu’ils se rendent compte que la police est sur les lieux, prête à les cueillir la main dans le sac. Chargés de lourdes sacoches remplies de dollars, ils n’hésitent pas à ouvrir le feu dans cette artère commerciale de la cité des anges et à déclencher un chaos urbain qui fait de Heat (1995), un film particulièrement tendu et anxiogène. La séquence dure dix minutes et témoigne de toute la virtuosité du cinéaste. Crachant leurs rafales dévastatrices, les fusils d’assaut M-16 des deux gangsters sèment la mort sur le bitume. Un feu croisé, déclenché par les policiers, emprisonne progressivement les deux fuyards qui refusent de se rendre tout en cherchant une échappatoire dans ce boulevard qui s’apparente de plus en plus à une souricière. Chris est le premier touché. Immédiatement secouru par Neil, il titube en s’accrochant désespérément à l’épaule de son compagnon. Cette fraternité et ce professionnalisme dans le crime rappelle les héros melvilliens du Deuxième Souffle (1966) ou du Cercle Rouge (1970). Comme dans Heat, l’univers de Jean-Pierre Melville réduit le plus souvent la société à une confrontation entre hors-la-loi et policiers aux pratiques peu différentes de ceux qu’ils pourchassent. Les deux camps sont renvoyés dos à dos et utilisent la violence quand elle s’avère indispensable, réduisant à néant les concepts du Bien et du Mal. En effet, chez Mann, à l’instar de Neil et de Chris, la police n’a aucun scrupule, en plein jour, à ouvrir le feu dans un quartier très fréquenté et à transformer Los Angeles en champ de bataille. Jusqu’au-boutistes, les deux camps préfèrent pratiquer la tactique de la terre brûlée : vitrines fracassées, voitures perforées par les projectiles, cadavres baignant dans leur sang, population prise de panique… En grand professionnel, Neil, lunettes noires et mains gantées, défie le monde avec une énergie froide où l’émotion et l’impulsivité n’ont pas leur place. Solidaire de son compagnon et mû par un code de l’honneur et une amitié virile qu’il partage avec Chris, Neil tente d’échapper aux balles dans cette guérilla urbaine qu’ils ont eux-mêmes en partie déclenchée. Archétype du truand froid et calculateur, comme le héros du Solitaire (Thief, un autre film de Michael Mann réalisé en 1981), Neil fait corps avec ce cadre urbain qui le domine. Le cadrage en contre-plongée dévoile et allonge l’architecture verticale des buildings dont les lignes pures traduisent autant la fermeté que la détermination. La grande profondeur de champ permet à notre œil d’associer des éléments fixes – les buildings – aux personnages tout en mouvement, créant ainsi une dichotomie qui participe au déséquilibre de la trajectoire sanglante et incandescente du duo. Ce polar urbain frénétique et survolté a été un tournant majeur dans la filmographie de Michael Mann.


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