samedi 28 janvier 2017

Full Metal Jacket chez Damien Chazelle


Whiplash est un film convulsif, tendu comme un arc, aux lisières de la folie, mettant en scène deux personnages principaux; Andrew Neiman (Miles Teller), un jeune étudiant aux dents aussi longues que des sabres de samouraï, aspirant à devenir le meilleur batteur de jazz du Conservatoire Shaffer de New-York et un professeur, Terence Fletcher (J.K.Simmons), chef d’orchestre d’un big band dans lequel entre Andrew, mais qui se révèle être un véritable fasciste pensant que la violence physique et psychologique ainsi que l’humiliation sont des vertus émancipatrices. Le film évoque donc les relations d’admiration tout d’abord, puis progressivement de haine qu’éprouve Andrew à l’égard de son mentor. La réalisation de Damien Chazelle emporte tout sur son passage car le réalisateur parle d’abord de la comédie humaine, des haines, des perversions, mais aussi des passions qui habitent le maître et des doutes, des humiliations ainsi que des ambitions qui hantent l’élève. Il est proprement fascinant de voir évoluer Terence Fletcher (J.K.Simmons, au meilleur de sa forme), les deux mains sur les genoux, hurler son mépris et vomir sa bile sur Andrew. Sûr de son savoir, le démiurge utilise tout le spectre de la persécution et de la tyrannie pour trouver la perle rare qui pourrait évoluer au firmament des musiciens qui ont révolutionné le jazz : pour lui, il faut être Charlie Parker ou rien, la demi-mesure n’existe pas. Pour y arriver tout est bon : éliminer les infortunés musiciens qui ont eu le malheur de jouer un mi bémol au lieu d’un fa, diviser pour mieux régner sur l’orchestre en choisissant successivement plusieurs batteurs, humilier un tromboniste qui n’est pas accordé.  Pour ce tortionnaire, le type de « pédagogie » qu’il affectionne rejoint celle du sergent instructeur Hartman de Full Metal Jacket (Stanley Kubrick, 1987). Dans cette salle de répétition qui s’apparente au camp d’entraînement des marines de Parris Island, Terence Fletcher dépouille Andrew de son individualité, l’agonit d’injures, n’hésite pas à le frapper, à l’humilier en public et à lui faire recommencer cent fois un tempo qui n’a pas l’heur de lui plaire. Andrew, tout à ses efforts, recroquevillé sur sa batterie, accepte cet assujettissement et ce chemin de croix dans une véritable relation sado-masochiste, acceptant sans broncher de verser de la peine, des larmes, de la sueur et du sang. Cette descente aux enfers, cet endoctrinement, ce pacte faustien signé par Andrew sont pour lui, croit-il, les passages obligés pour forcer la porte du panthéon des dieux de la polyrhythmie. Curieusement, sa référence, son maître ès-baguettes et percussions est Buddy Rich, un batteur américain à l'imposante discographie inversement proportionnelle à la place qu’il a laissée dans le jazz. Véritablement lobotomisé par le sergent-chef d’orchestre, Andrew mettra du temps à se retourner contre lui. Si le corps criblé de balles du sergent Hartman gît sur le dallage des toilettes de la caserne, tué par le soldat qu’il n’a cessé d’humilier, Andrew quant à lui, boira jusqu’à la lie, dans un final ambigu, l’amère potion de la beauté qui n’a pas de prix.


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