Whiplash est un
film convulsif, tendu comme un arc, aux lisières de la folie, mettant en scène
deux personnages principaux; Andrew Neiman (Miles Teller), un jeune étudiant
aux dents aussi longues que des sabres de samouraï, aspirant à devenir le
meilleur batteur de jazz du Conservatoire Shaffer de New-York et un professeur,
Terence Fletcher (J.K.Simmons), chef d’orchestre d’un big band dans lequel
entre Andrew, mais qui se révèle être un véritable fasciste pensant que la
violence physique et psychologique ainsi que l’humiliation sont des vertus
émancipatrices. Le film évoque donc les relations d’admiration tout d’abord,
puis progressivement de haine qu’éprouve Andrew à l’égard de son mentor. La
réalisation de Damien Chazelle emporte tout sur son passage car le réalisateur
parle d’abord de la comédie humaine, des haines, des perversions, mais aussi des
passions qui habitent le maître et des doutes, des humiliations ainsi que des
ambitions qui hantent l’élève. Il est proprement fascinant de voir évoluer
Terence Fletcher (J.K.Simmons, au meilleur de sa forme), les deux mains sur les
genoux, hurler son mépris et vomir sa bile sur Andrew. Sûr de son savoir, le
démiurge utilise tout le spectre de la persécution et de la tyrannie pour trouver
la perle rare qui pourrait évoluer au firmament des musiciens qui ont
révolutionné le jazz : pour lui, il faut être Charlie Parker ou rien, la
demi-mesure n’existe pas. Pour y arriver tout est bon : éliminer les
infortunés musiciens qui ont eu le malheur de jouer un mi bémol au lieu d’un
fa, diviser pour mieux régner sur l’orchestre en choisissant successivement
plusieurs batteurs, humilier un tromboniste qui n’est pas accordé. Pour ce tortionnaire, le type de « pédagogie »
qu’il affectionne rejoint celle du sergent instructeur Hartman de Full Metal
Jacket (Stanley Kubrick, 1987). Dans cette salle de répétition qui s’apparente
au camp d’entraînement des marines de Parris Island, Terence Fletcher dépouille
Andrew de son individualité, l’agonit d’injures, n’hésite pas à le frapper, à
l’humilier en public et à lui faire recommencer cent fois un tempo qui n’a pas
l’heur de lui plaire. Andrew, tout à ses efforts, recroquevillé sur sa
batterie, accepte cet assujettissement et ce chemin de croix dans une véritable
relation sado-masochiste, acceptant sans broncher de verser de la peine, des
larmes, de la sueur et du sang. Cette descente aux enfers, cet endoctrinement, ce
pacte faustien signé par Andrew sont pour lui, croit-il, les passages obligés
pour forcer la porte du panthéon des dieux de la polyrhythmie. Curieusement, sa
référence, son maître ès-baguettes et percussions est Buddy Rich, un batteur
américain à l'imposante discographie inversement proportionnelle à la place qu’il a
laissée dans le jazz. Véritablement lobotomisé par le sergent-chef d’orchestre,
Andrew mettra du temps à se retourner contre lui. Si le corps criblé de balles
du sergent Hartman gît sur le dallage des toilettes de la caserne, tué par le soldat
qu’il n’a cessé d’humilier, Andrew quant à lui, boira jusqu’à la lie, dans un
final ambigu, l’amère potion de la beauté qui n’a pas de prix.
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