samedi 7 janvier 2017

L'ombre et la lumière chez Billy Wilder


Assurance sur la mort (Double Indemnity, Billy Wilder, 1944) est un film noir d’une somptuosité vénéneuse inégalée. Le scénario a été écrit par Billy Wilder et Raymond Chandler d’après le roman éponyme de James M. Cain paru en 1935.  Un agent d’une compagnie d’assurance, Walter Neff (Fred McMurray) rencontre Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck) et ils deviennent amants. Ils projettent d’assassiner le mari de Phyllis pour pouvoir toucher la prime de son assurance-décès … Ce schéma triangulaire est une figure imposée dans le film noir américain. La Mort n’était pas au rendez-vous (Conflict de Curtis Bernhardt/1945) ou Le Facteur sonne toujours deux fois (The Postman always rings twice du même James M.Cain et tourné par Tay Garnett en 1946) reprendront cette trame passionnelle et meurtrière.
Bien après près avoir commis leur forfait, les deux amants se retrouvent la nuit chez Phyllis, dans une grande villa à Los Angeles. La semi-obscurité à l’intérieur de la maison est synonyme de danger. Une faible lumière traverse les stores vénitiens, projetant les ombres des lamelles sur le mur et le corps de Walter. Cette lumière tamisée, entre chien et loup, centre le regard du spectateur sur l’agent d’assurance dont le visage se confond avec la noirceur qui enveloppe le salon. Ce contraste de luminosité entre la tête et le corps souligne l’ambiguïté du personnage et sa double personnalité : agent d’assurance le jour et criminel la nuit. Il incarne la face pervertie du rêve américain, cherchant par le meurtre, à s’enrichir tout en possédant la femme de ses rêves. Mais au lieu de se précipiter vers sa maîtresse, Walter s’est figé, incertain, à quelques mètres d’elle. Il sait, à ce moment-là, qu’il a déjà un concurrent et que Phyllis a probablement déjà assassiné la première femme de son mari. Phyllis est confortablement assise dans un fauteuil, les jambes croisées, une cigarette à la main, et revêtue du même vêtement blanc qu’elle portait le jour de sa première rencontre avec Walter. Elle a tous les attributs de la femme fatale : blonde, décontractée, séductrice, sensuelle, cupide et prête à tout pour parvenir à ses fins et jouir de la prime liée au décès de son mari. Le vernis immaculé de la demeure bourgeoise contraste avec les âmes noires des meurtriers. Les deux protagonistes se font désormais face dans un espace qui s’apparente à une toile d’araignée dans laquelle Walter tente de se débattre. La distance qui les sépare symbolise la méfiance et le rejet qui se sont installés entre eux. Walter n’est plus que cet agent d’assurance, dont les rêves se sont fracassés contre les murs de cette demeure où plane la mort. Ce travail sur l’ombre et la lumière, associé au décor et aux personnages est autant l’œuvre de Billy Wilder – Austro-Hongrois de naissance, il a vécu à Berlin dans les années 20, au plus fort de la créativité expressionniste allemande - que de son directeur de la photographie, John F. Seitz qui a déjà exercé ses talents sur le plateau de Tueurs à gages (This Gun for Hire, Franck Tuttle, 1942). Cet esthétisme en noir et blanc capte magnifiquement la fatalité imprégnant l’itinéraire sanglant de ces deux amants qui ont cru, un temps, pouvoir dépasser et fuir leur condition d’Américains moyens. À défaut de pouvoir s’aimer, ils préféreront s’entretuer.


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