Assurance
sur la mort (Double Indemnity, Billy Wilder, 1944) est un film noir d’une somptuosité vénéneuse inégalée. Le
scénario a été écrit par Billy Wilder et Raymond Chandler d’après le roman
éponyme de James M. Cain paru en 1935. Un
agent d’une compagnie d’assurance, Walter Neff (Fred McMurray) rencontre
Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck) et ils deviennent amants. Ils projettent
d’assassiner le mari de Phyllis pour pouvoir toucher la prime de son
assurance-décès … Ce schéma triangulaire est une figure imposée dans le film
noir américain. La Mort n’était pas au
rendez-vous (Conflict de Curtis
Bernhardt/1945) ou Le Facteur sonne
toujours deux fois (The Postman
always rings twice du même James M.Cain et tourné par Tay Garnett en 1946) reprendront
cette trame passionnelle et meurtrière.
Bien après près avoir commis leur forfait, les deux
amants se retrouvent la nuit chez Phyllis, dans une grande villa à Los Angeles.
La semi-obscurité à l’intérieur de la maison est synonyme de danger. Une faible
lumière traverse les stores vénitiens, projetant les ombres des lamelles sur le
mur et le corps de Walter. Cette lumière tamisée, entre chien et loup, centre
le regard du spectateur sur l’agent d’assurance dont le visage se confond avec
la noirceur qui enveloppe le salon. Ce contraste de luminosité entre la tête et
le corps souligne l’ambiguïté du personnage et sa double personnalité :
agent d’assurance le jour et criminel la nuit. Il incarne la face pervertie du
rêve américain, cherchant par le meurtre, à s’enrichir tout en possédant la
femme de ses rêves. Mais au lieu de se précipiter vers sa maîtresse, Walter
s’est figé, incertain, à quelques mètres d’elle. Il sait, à ce moment-là, qu’il
a déjà un concurrent et que Phyllis a probablement déjà assassiné la première
femme de son mari. Phyllis est confortablement assise dans un fauteuil, les
jambes croisées, une cigarette à la main, et revêtue du même vêtement blanc
qu’elle portait le jour de sa première rencontre avec Walter. Elle a tous les
attributs de la femme fatale : blonde, décontractée, séductrice,
sensuelle, cupide et prête à tout pour parvenir à ses fins et jouir de la prime
liée au décès de son mari. Le vernis immaculé de la demeure bourgeoise
contraste avec les âmes noires des meurtriers. Les deux protagonistes se font désormais
face dans un espace qui s’apparente à une toile d’araignée dans laquelle Walter
tente de se débattre. La distance qui les sépare symbolise la méfiance et le
rejet qui se sont installés entre eux. Walter n’est plus que cet agent
d’assurance, dont les rêves se sont fracassés contre les murs de cette demeure
où plane la mort. Ce travail sur l’ombre et la lumière, associé au décor et aux
personnages est autant l’œuvre de Billy Wilder – Austro-Hongrois de naissance,
il a vécu à Berlin dans les années 20, au plus fort de la créativité
expressionniste allemande - que de son directeur de la photographie, John F.
Seitz qui a déjà exercé ses talents sur le plateau de Tueurs à gages (This Gun for
Hire, Franck Tuttle, 1942). Cet esthétisme en noir et blanc capte
magnifiquement la fatalité imprégnant l’itinéraire sanglant de ces deux amants
qui ont cru, un temps, pouvoir dépasser et fuir leur condition d’Américains
moyens. À défaut de pouvoir s’aimer, ils préféreront s’entretuer.
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