Dans le western, allez savoir pourquoi, chaque
fois qu’un truand menace de dévaliser ou de trucider son prochain – qui ne lui
a généralement rien fait, mais qui a le tort de se trouver sur sa route - il
précède sa forfaiture de sourires ou d’éclats de rires goguenards, sarcastiques
ou sardoniques, c’est selon, et de préférence toujours tonitruants. C’est
probablement le sourire carnassier du bandit Joe Erin (Burt Lancaster dans Vera Cruz, Robert Aldrich, 1954), les zygomatiques
en action du fourbe mais attachant Juan Luis Rodriquez (Anthony Franciosa dans Rio Conchos, Gordon Douglas, 1964) ou
encore le rire psychotique de l’Indien (Gian Maria Volonte dans Et pour quelques dollars de plus, Sergio Leone, 1965) qui ont le plus marqué l’imaginaire des amoureux transis du
genre.
Dans le
western nihiliste qu’est Hombre de
Martin Ritt (1966), les méchants de service, Cicero Grimes (Richard Boone) et
Lamar Dean (David Canary) viennent de surgir du désert pour piller ce véhicule
hippomobile qu’est une diligence et ses sept occupants. Le premier photogramme voit
Grimes et Dean, se congratuler, se raconter des histoires forcément désopilantes,
et il s’en faut de peu qu’ils ne se roulent par terre, morts de rire. Le
problème, c’est qu’ils n’ont pas les têtes de comiques innocents. Cicéro Grimes
est une crapule dénuée de scrupules, fort en gueule et dégainant son six-coups
– le fameux peacemaker bien nommé –
pour assouvir son appétit du gain rapidement gagné, et le second, Lamar Dean,
n’a rien à lui envier dans l’échelle de la crapulerie et du racisme anti-indien
tout particulièrement. En dépit de leurs dentitions étincelantes, leurs visages
patibulaires suintent la violence et la rouerie, mais aussi la truculence
notamment en ce qui concerne Cicero Grimes. Ce personnage haut en couleur est
visiblement le chef de la bande. Dans le western, genre dans lequel les
références iconographiques sont très codifiées, Grimes incarne le mal et le
pouvoir; c’est un l’homme lucide et froid qui sait immédiatement analyser une
situation et il ne souffre aucune contestation. Sa main gauche tient
affectueusement l’épaule de son compagnon qui semble apprécier la complicité de
son chef, mais le colt dans sa main droite contredit en apparence le sourire
qui illumine son visage. En face, par contre (deuxième photogramme), les sept
passagers ne rient pas, mais alors pas du tout. Ils forment un parfait
microcosme de la société américaine, un melting-pot composé de Wasp comme
Jessie (Diane Cilento), le Docteur Favor et sa femme (Fredric March et Barbara
Rush), Billy Lee Blake et Doris, sa jeune femme ((Peter Lazer et Margaret Blye),
mais aussi le conducteur d’origine mexicaine face à Grimes, Henry Mendes
(Martin Balsam) et enfin à l’extrême-droite du cadre, à côté de Jessie, un
blanc élevé et éduqué par les Apaches, John Russell (Paul Newman). Ils sont sur
le point d’être dévalisés mais le seul qui ne semble pas concerné est John
Russell. Son regard porte au loin, son visage n’exprime aucune émotion. En Apache
converti, rejeté par les autres passagers en raison de son indianité, taiseux
et impassible, John filtre et refoule ses pulsions lui permettant d’adopter
l’air de celui qui est à mille lieux des considérations bassement matérialistes
des outlaws en action. Hombre
pourrait être à première vue une relecture de la Chevauchée fantastique (Stagecoach, John Ford, 1939) : c’est le cas mais c’est aussi autre chose. Et là se trouve la constante métamorphose du western : prendre et maîtriser les codes,
tout en les faisant évoluer. Le seul western tourné par Martin Ritt est ici une
magnifique parabole sur la rapacité des êtres humains en général et de la
société américaine en particulier (les bandits mais surtout les Favor qui
détournent l’argent du Bureau des affaires indiennes, affamant ainsi les tribus
qui en dépendent) et le mépris que les possédants ont vis-à-vis des minorités
(les Favor toujours, contre les Indiens et les Mexicains). En ce sens, Hombre est éminemment politique. Et là,
on ne rit plus du tout.
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