Cette mise en abyme extraite du Survivant (The Omega Man de Boris Sagal/1971) est particulièrement anxiogène.
À la suite d’une guerre bactériologique entre l’URSS et la Chine, une épidémie
décime la population mondiale. Le colonel Robert Neville (Charlton Heston),
biologiste de l’armée américaine a survécu à la pandémie en s’injectant un
vaccin qui lui a sauvé la vie. Conduisant dans les rues d’un Los Angeles
post-apocalyptique, jonchées de cadavres, de détritus et de voitures
abandonnées, Robert Neville s’arrête devant un cinéma dont l’affiche n’a pas
bougé depuis 1970. Le film Woodstock (1970)
de Michael Wadleigh est le dernier film à avoir été projeté avant
l’anéantissement de l’humanité. L’échelle devant l’entrée du cinéma est restée
figée à l’endroit du fronton où la dernière lettre du nom du film a été fixée.
Ce choix cinématographique ne doit rien au hasard : Woodstock, le film, est le résumé de Woodstock, festival mythique
de toute une génération. Pendant trois jours, du 15 au 18 août 1969, celui-ci
rassemble 450 000 personnes sur une colline de Bethel dans l’état de
New-York pour y écouter toute la fine fleur de la scène rock américaine et
britannique, de Jimi Hendrix à Crosby, Stills, Nash and Young, en passant par
Ten Years After, Santana, Richie Havens ou Joe Cocker. Mais au-delà du propos
musical, ce festival a incarné toutes les espérances et toutes les aspirations
d’une jeunesse dont la contre-culture des années 60 était le credo. La lutte
contre le capitalisme et la société de consommation, l’hostilité à la guerre du
Vietnam et l’aspiration à la paix ainsi que le désir de vivre en collectivité en
toute liberté et de s’aimer sans tabou, ont immortalisé cette culture hippie
qui débordait largement du cadre des États-Unis. Mais tout ceci n’est plus
qu’un passé lointain dans ce Los Angeles atomisé, en proie au silence et à
l’abandon. Les files d’attente devant le cinéma ont disparu, les hot dogs et
les hamburgers ne se vendent plus, le panneau affichant complet (« sold out »)
répond ironiquement au vide qui enveloppe les rues. Le souvenir et la magie du
cinéma se sont évaporés dans cette ville décimée qui a pourtant vu naître
Hollywood. La mort rôde partout. Neville ne peut circuler que le jour puisque d’autres
survivants, transformés eux en mutants dégénérés, troglodytes et prédateurs,
hantent encore la ville tout en ne pouvant sortir que la nuit, parce que
devenus extrêmement sensibles à la lumière du jour.
Neville vient de s’installer dans la salle de
cinéma après avoir enclenché le projecteur. Seul et unique spectateur de cette
séance un peu particulière, il regarde les images de la foule compacte du
festival, en train de chanter et de danser au son de la musique de Country Joe
McDonald, un chanteur engagé des années 60. « On ne fait plus des films comme
cela de nos jours » dit Neville, mi-dépité, mi-nostalgique. Mais le point de
vue esthétique et idéologique de Boris Sagal juxtapose fiction et réalité en
disant tout d’abord que cette utopie libertaire des années 60 n’a pas survécu à
l’holocauste bactériologique tout en ayant déjà conscience qu’en 1971, le
mouvement hippie commençait à refluer pour vivre ses derniers feux. L’heure n’était
plus au rêve. Cette contre-culture atteint effectivement son apogée en 1969,
puis succombe lentement au cours des années 70, noyée dans ses excès : Brian
Jones des Rolling Stones meurt brutalement en 1969, suivi de Janis Joplin et Jimi
Hendrix en 1970, puis Jim Morrison en 1971. Mais c’est surtout Charles Manson
qui va sonner le glas des années 60 : en 1969, quelques membres de sa
communauté – la Famille Manson -
assassinent sauvagement Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, puis un
riche couple à Los Angeles. En dépit de cette violence, cette projection
solitaire de Woodstock ne fait que
raviver la mémoire de ce qui a été une espérance de voir évoluer le paradigme
des sociétés occidentales. Coincé entre la
Planète des singes (Planet of the
Apes de Franklin J.Schaffner/1968) et Soleil
vert (Soylent Green de Richard
Fleischer /1973), Le Survivant réactive
la peur d’un monde détruit par les folies humaines. Le 11 septembre 2001 – ce
moment où le réel a rattrapé la fiction -
n’a pas ralenti cette inclinaison du cinéma américain à filmer sa propre
destruction. Des films comme Infectés
(Carriers des frères Pastor/2009) ou Contagion de Steve Soderbergh/2011,
montrent toujours l’obsession mortifère des réalisateurs pour filmer
l’extinction de la race humaine.
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