mardi 31 janvier 2017

La salle de cinéma chez Boris Sagal


Cette mise en abyme extraite du Survivant (The Omega Man de Boris Sagal/1971) est particulièrement anxiogène. À la suite d’une guerre bactériologique entre l’URSS et la Chine, une épidémie décime la population mondiale. Le colonel Robert Neville (Charlton Heston), biologiste de l’armée américaine a survécu à la pandémie en s’injectant un vaccin qui lui a sauvé la vie. Conduisant dans les rues d’un Los Angeles post-apocalyptique, jonchées de cadavres, de détritus et de voitures abandonnées, Robert Neville s’arrête devant un cinéma dont l’affiche n’a pas bougé depuis 1970. Le film Woodstock (1970) de Michael Wadleigh est le dernier film à avoir été projeté avant l’anéantissement de l’humanité. L’échelle devant l’entrée du cinéma est restée figée à l’endroit du fronton où la dernière lettre du nom du film a été fixée. Ce choix cinématographique ne doit rien au hasard : Woodstock, le film, est le résumé de Woodstock, festival mythique de toute une génération. Pendant trois jours, du 15 au 18 août 1969, celui-ci rassemble 450 000 personnes sur une colline de Bethel dans l’état de New-York pour y écouter toute la fine fleur de la scène rock américaine et britannique, de Jimi Hendrix à Crosby, Stills, Nash and Young, en passant par Ten Years After, Santana, Richie Havens ou Joe Cocker. Mais au-delà du propos musical, ce festival a incarné toutes les espérances et toutes les aspirations d’une jeunesse dont la contre-culture des années 60 était le credo. La lutte contre le capitalisme et la société de consommation, l’hostilité à la guerre du Vietnam et l’aspiration à la paix ainsi que le désir de vivre en collectivité en toute liberté et de s’aimer sans tabou, ont immortalisé cette culture hippie qui débordait largement du cadre des États-Unis. Mais tout ceci n’est plus qu’un passé lointain dans ce Los Angeles atomisé, en proie au silence et à l’abandon. Les files d’attente devant le cinéma ont disparu, les hot dogs et les hamburgers ne se vendent plus, le panneau affichant complet (« sold out ») répond ironiquement au vide qui enveloppe les rues. Le souvenir et la magie du cinéma se sont évaporés dans cette ville décimée qui a pourtant vu naître Hollywood. La mort rôde partout. Neville ne peut circuler que le jour puisque d’autres survivants, transformés eux en mutants dégénérés, troglodytes et prédateurs, hantent encore la ville tout en ne pouvant sortir que la nuit, parce que devenus extrêmement sensibles à la lumière du jour.


Neville vient de s’installer dans la salle de cinéma après avoir enclenché le projecteur. Seul et unique spectateur de cette séance un peu particulière, il regarde les images de la foule compacte du festival, en train de chanter et de danser au son de la musique de Country Joe McDonald, un chanteur engagé des années 60. « On ne fait plus des films comme cela de nos jours » dit Neville, mi-dépité, mi-nostalgique. Mais le point de vue esthétique et idéologique de Boris Sagal juxtapose fiction et réalité en disant tout d’abord que cette utopie libertaire des années 60 n’a pas survécu à l’holocauste bactériologique tout en ayant déjà conscience qu’en 1971, le mouvement hippie commençait à refluer pour vivre ses derniers feux. L’heure n’était plus au rêve. Cette contre-culture atteint effectivement son apogée en 1969, puis succombe lentement au cours des années 70, noyée dans ses excès : Brian Jones des Rolling Stones meurt brutalement en 1969, suivi de Janis Joplin et Jimi Hendrix en 1970, puis Jim Morrison en 1971. Mais c’est surtout Charles Manson qui va sonner le glas des années 60 : en 1969, quelques membres de sa communauté – la Famille Manson -  assassinent sauvagement Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, puis un riche couple à Los Angeles. En dépit de cette violence, cette projection solitaire de Woodstock ne fait que raviver la mémoire de ce qui a été une espérance de voir évoluer le paradigme des sociétés occidentales. Coincé entre la Planète des singes (Planet of the Apes de Franklin J.Schaffner/1968) et Soleil vert (Soylent Green de Richard Fleischer /1973), Le Survivant réactive la peur d’un monde détruit par les folies humaines. Le 11 septembre 2001 – ce moment où le réel a rattrapé la fiction -  n’a pas ralenti cette inclinaison du cinéma américain à filmer sa propre destruction. Des films comme Infectés (Carriers des frères Pastor/2009) ou Contagion de Steve Soderbergh/2011, montrent toujours l’obsession mortifère des réalisateurs pour filmer l’extinction de la race humaine. 


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