Le Tchad, 1979. Le fondu d’ouverture du générique
d’Underfire (Roger Spottiswoode/1983)
dévoile un paysage de savane accablé par la chaleur africaine. La saison sèche
bat son plein et les formations herbeuses sont brûlées par le soleil. La caméra
filme un espace vide de sons et de toute présence humaine ou animale. Le temps
apparaît suspendu à l’air chaud et sec qui écrase cet environnement caractéristique
d’un climat tropical à longue saison sèche. En son off, une longue note tenue
au synthétiseur, lancinante et plaintive, tranche, à intervalles réguliers, l’espace
végétal et forestier qu’aucun souffle de vent ne vient perturber.
Et puis soudainement, l’image s’anime. Au premier
plan, un homme armé d’un AK 47 surgit dans le cadre. Littéralement sorti de
terre, il se lève avec précaution, aux aguets. Son uniforme se confond avec ce
tapis de grandes herbes qui l’avait dissimulé jusqu’à cet instant. Attentif au
moindre mouvement et au bruit le plus infime, il met un genou à terre et
attend. Figé dans son hiératisme, son corps se détache maintenant nettement
pour fixer la ligne d’horizon.
Et puis progressivement, ce sont un, deux, puis
plusieurs soldats qui, à son signal, se lèvent à leur tour pour poursuivre leur
avancée un moment interrompue. La caméra n’a pas bougé de son axe, filmant en
plan d’ensemble la lente progression de la colonne militaire. En un seul plan,
Roger Spottiswoode filme la guerre civile au Tchad (1965-1979) dont nous ne
saurons pourtant rien des tenants et des aboutissants, puisque l’intérêt du
générique est de présenter le journaliste-photographe américain Russel Price
(Nick Nolte), couvrant et photographiant le conflit. Des images qui se figent
alors que le son du déclencheur d’un appareil photo se fait entendre prouvent
que Russel Price suit hors-champ cette colonne. Pourtant cette distance par
rapport à la guerre civile sert le point de vue du réalisateur. Qui sont ces soldats
? Des forces rebelles ou gouvernementales ? Russel Price refuse de prendre
parti et ne veut être qu’un observateur neutre, un œil témoin, chargé de rapporter
des images d’une guerre lointaine. Ces soldats ne peuvent être que des
silhouettes impersonnelles dont l’existence sert à justifier l’activité de
Russel Price, avide avant tout de trouver le meilleur angle de prise de vue, le
plan le plus dramatique et le plus photogénique qui lui vaudront la couverture
du Time magazine aux États-Unis. C’est l’exercice même du journalisme qui est
ici pointé du doigt. Jusqu’à quel point peut-on rester impartial, passer d’un
camp à l’autre, désengagé, distancié, sans inévitablement finir par prendre
parti au risque de se perdre ?
Aucun commentaire:
Publier un commentaire